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L’épilepsie essentielle aux tests de Szondi et de Rorschach

les Cahiers du CEP, n°4, 1994

Martine Stassart

Martine Stassart est née en mai 1965. Etudes de Psychologie de 1983 à  1988.  Elle devient par hasard l’assistante de Jean Mélon en 1989. Elle le reste jusqu’en  juillet 95 où elle est titularisée “première assistante” après avoir avoir défendu sa thèse doctorale sur “Le choix vocationnel chez l’adolescent”. Elle entame aussitôt une carrière universitaire classique . Elle est actuellement titulaire de la chaire de “Psychologie de l’adolescence” à la Faculté de Psychologie de l’Université de Liège. Elle  combine cette activité avec celle de psychologue libérale , spécialisée dans les problèmes de l’adolescence.
Sa collaboration active avec Jean Mélon rend compte de son intérêt porté au test de Szondi en ce qui concerne la paroxysmalité (et l’épilepsie) et les rites de passage, problèmes cruciaux de l’âge adolescentaire. 

 

Le terme “épileptoïdie” aurait été créé par Eugen BLEULER (1857-1939) en 1920 afin de désigner un vaste ensemble de signes parfois groupés en syndromes, qui font penser aux tableaux cliniques couramment rencontrés chez les épileptiques avérés. C’est de cette époque que date , en psychiatrie, le succès, aujourd’hui passé de mode, du suffixe “-oïde” (cycloïde, schizoïde, hystéroïde. . . . ),  qui veut dire “semblable à”. Aussi bien l’adjectif “épileptiforme” est-il rigoureusement synonyme d’épileptoïde.

Lorsqu’il crée la notion de schizophrénie en 1911, BLEULER s’inscrit en faux contre l’opinion de KRAEPELIN qui , défendant son concept de “démence précoce”, voulait en faire une affection organique analogue à la “démence sénile”, affection processuelle irréversible dominée par l’affaiblissement intellectuel. BLEULER ne prend pas alors position sur la question de savoir si la schizophrénie a une base organique ou non. Il met l’accent sur ce qui lui apparaît comme le trouble nucléaire de ces affections, c’est-à-dire la dissociation (Spaltung), qui aboutit en “ambivalence” puis en “discordance”:   le sujet exprime simultanément des idées opposées en donnant l’impression de ne pas s’en rendre compte -c’est le sens premier de l’ambivalence- ou bien il exprime des affects ou accomplit des actes qui sont en complète contradiction avec ses idées. D’où découle la notion de shizo-phrénie:   fente, coupure, dislocation de la pensée ou de l’esprit.

BLEULER était d’avis que la schizophrénie cliniquement avérée constituait une forme de point d’aboutissement ou d’exagération pathologique d’une manière d’être ou d’exister, d’une forme de personnalité ou de caractère par ailleurs normales. C’est à la même époque qu’il introduit la notion de “schizothymie” pour désigner des sujets dont l’humeur, froide et désaffectée, est semblable à celle du schizophrène ordinaire.

En 1921, Ernst KRETSCHMER (1888-1964) publie “Körperbau und Charakter” (Constitution physique et caractère), dont le retentissement sera considérable. C’est là que, reprenant l’opposition établie par KRAEPELIN entre la démence précoce et la psychose maniaco-dépressive, il fonde une typologie basée essentiellement sur l’opposition entre les types leptosome et pycnique. Suivant l’intensité du retentissement de sa constitution sur son fonctionnement psychologique, le leptosome sera schizoyhyme (normal), schizoïde (prémorbide) ou schizophrène (malade). A côté des types leptosomique et pycnique, KRETSCHMER distingue encore les types dysplasique et athlétique. Son disciple MAUZ rapprochera le type athlétique de l’épilepsie mais, curieusement, il n’utilisera pas la notion d’épileptoïde, pourtant homologue de schizoïde et de cycloïde;  il proposera (1940) la notion d’ “ictaffine” où se laisse entendre l’écho de la crise de grand-mal  dite “icto“-comitiale (du latin “ictus“, coup brutal).

La notion d’épileptoïdie entre en France dans les années 30 à travers les travaux d’obédience surtout phénoménologique d’Eugen MINKOWSKI et Françoise MINKOWSKA. Celle-ci a commencé sa carrière vers 1920 au Burghölzli, sous le patronage de BLEULER. Hermann RORSCHACH (1888-1922) avait publié son Psychodiagnostic en 1921. Françoise MINKOWSKA s’en servit immédiatement et développa à partir de cet instrument privilégié une oeuvre d’inspiration phénoménologique extrêmement riche dont l’essentiel est consigné dans son livre “A la recherche du monde des formes”, paru chez Desclée de Brouwer en 1956.

C’est de l’Etude n° 3 de cet ouvrage, intitulée “L’épilepsie essentielle, sa psychopathologie et le test de Rorschach”, que nous partirons pour introduire notre propos propre.

Celle-ci rappelle que lors de sa première communication à la Société Médico-Psychologique, à Paris en 1923, “le point le plus discuté fut la viscosité et l’adhésivité, éléments relativement nouveaux. . . “, l’accent ayant toujours été mis davantage sur l’impulsivité clastique des épileptiques. “Pour marquer l’importance de la viscosité, nous avons introduit, suivant la suggestion d’Edouard PICHON, le terme de glischroïdie. ”

L’introduction de ce néologisme fut une mauvaise idée. En effet, le but était d’éviter tous les malentendus et les imprécisions attachés au terme d’épileptoïdie. Or ce qui est caractéristique de la manière de vivre épileptoïde, c’est le balancement entre la viscosité et l’impulsivité, c’est cette bipolarité qui est fondamentale. En mettant l’accent sur le pôle de la viscosité, Françoise MINKOWSKA a fait, si on peut dire, son malheur. Car on n’en a finalement retenu que la lenteur d’idéation, la bradypsychie et la quasi-stupidité bien connues de certains épileptiques mais surtout des encéphalopathes, si bien que l’écrasante majorité des psychopathologues, à la suite de DELAY, PICHOT et PERSE ont  simplement décrété que tout ce qu’on avait jamais écrit sur le Rorschach des épileptiques (PIOTROWSKI, BOVET, SALOMON, GUIRDHAM, STAUDER, LEDER, RORSCHACH lui-même. . . )  renvoyait à la notion d’organicité et à rien d’autre.

Françoise MINKOWSKA avait en quelque sorte  pressenti la déréliction posthume de son oeuvre lorsqu’elle écrivait, aux premières lignes de son Etude sur le Rorschach de l’épileptique, en 1956:

Grâce à BLEULER qui a mis en évidence les mécanismes essentiels de la schizophrénie, à savoir la Spaltung et l’autisme, la clinique de cette affection, sans rien préjuger de son origine organique, est venue s’enrichir, malgré toutes les critiques, d’un chapitre de psychologie structurale, et cela aussi bien dans la littérature de langue allemande qu’en France.

Les choses se présentent d’une façon toute différente dans le domaine de l’épilepsie. Il suffit de relire les rapports présentés à la XIIe réunion neurologique internationale à Paris en 1932, en premier lieu celui d’Abadie, pour se rendre compte que les conceptions psychiatriques des anciens auteurs, comme DELASIAUVE, MOREL, FALRET, FERE, HERPIN et VOISIN, rentraient de plus en plus dans l’ombre en cédant progressivement le pas aux conceptions et aux formules purement neurologiques. Si nous remontons à la célèbre discussion qui s’est déroulée à la Société Médico-Psychologique au cours de cinq années consécutives, en 1871-72, sur l’épilepsie larvée, où les auteurs ont plus particulièrement insisté sur l’épilepsie en tant qu’entité clinique autonome de même que sur le rôle du facteur héréditaire, sur les équivalents psychiques pouvant remplacer les crises convulsives, sur la spécificité du caractère épileptique qui comprend aussi bien l’impulsivité que l’obséquiosité (FALRET), nous n’avons pas de peine à constater la régression qui s’est produite ici. C’est que les conceptions neurologiques suppriment tour à tour l’autonomie de l’épilepsie en tant qu’entité clinique, escamotent l’hérédité et l’importance capitale des équivalents psychiques de la crise, réduisent enfin les réactions caractérielles à l’impulsivité. . . . . (A la recherche du monde des formes, op. cit. , pp 105-106).

Cette amère constatation qui date de plus d’un demi-siècle rejoint l’opinion émise en 1976 par J. BANCAUD, un neurologue spécialiste de l’électroencéphalographie et donc peu suspect d’être un nostalgique de la psychiatrie d’antan: La clinique de l’épilepsie a régressé considérablement depuis la découverte de l’électroencéphalographie (càd depuis 1930):   l’examen technique complémentaire tient lieu de réassurance et dispense d’un examen clinique plein d’incertitudes (BANCAUD J.  et coll. , Epilepsies, Encycl. Méd. Chir. , Neurologie, 1976, 17 O45, A 10). Lorsque nous ouvrons le DSM 4 nous constatons que l’épilepsie n’y est plus mentionnée nulle part. On peut donc affirmer sans conteste que l’épilepsie a définitivement migré du champ psychiatrique vers le champ neurologique.

L’épilepsie est devenue selon le mot d’Hervé BEAUCHESNE  :   “la maladie dont on n’entend plus parler”. Si d’une part, le  morcellement objectivant de l’épilepsie, pratiqué par les neurologues à grand renfort de techniques toujours plus sophistiquées, a fait disparaître “l’épileptique”, de son côté, le malade épileptique ou simplement celui qui a fait une crise –  selon GASTAUT, 49% seulement des sujets qui ont fait une ou plusieurs crises deviennent des “malades ” épileptiques – s’efforce de faire oublier la chose, tant l’épilepsie reste frappée d’ostracisme dans l’opinion publique et aux yeux du législateur. On estime généralement à 50% le nombre de sujets atteints d’épilepsie qui ne consultent jamais par crainte des conséquences sociales que  pourrait leur valoir la réputation d’être épileptique.

Il est remarquable que les immenses progrès de l’électroencéphalographie et de l’imagerie médicale  ont finalement conduit à confirmer plutôt qu’à infirmer la vieille hypothèse selon laquelle il y a deux types d’épilepsie, l’épilepsie primaire, ou généralisée d’emblée – qu’on a qualifiée  au fil du temps d’essentielle, génétique, fonctionnelle, génuine ou idiopathique – et l’épilepsie secondaire qui comprend l’épilepsie généralisée secondaire et les épilepsies partielles. En dehors du fait que le seuil convulsif y est abaissé, sans qu’on sache d’ailleurs pourquoi, on ne connaît toujours pas le substrat organique de l’épilepsie généralisée primaire. Par contre, dans tous les autres cas, la découverte d’une “épine” organique est hautement probable.

Certaines épilepsies comportent des crises engageant d’emblée la majorité ou la totalité de l’activité cérébrale et la fréquence des lésions dans ces cas est faible ou nulle:   ce sont les épilepsies généralisées, essentielles, fonctionnelles ou idiopathiques. D’autres épilepsies comportent des crises n’engageant au début qu’une partie limitée de l’activité cérébrale et la fréquence des lésions retrouvées dans ces cas est élevée: ce sont les épilepsies partielles symptomatiques. Ces principes (généralisé/essentiel, partiel/symptomatique), qui n’étaient d’abord que des concepts, après avoir été associés deux à deux, se sont fusionnés et d’abstraits se sont matérialisés. De sorte qu’il est apparu un clivage entre les deux groupes, le classement dans l’un excluant le classement dans l’autre.

Qu’est-ce donc qui nous incite à revenir sur cette question apparemment classée?

Il y a bien sûr la référence à SZONDI. SCHOTTE, dans sa conférence commémorative du centenaire de la naissance de SZONDI, à BUDAPEST, en avril 1993, a pu dire:   “. . le deuxième coup de génie de SZONDI, c’est d’avoir gardé l’épilepsie dans la psychiatrie. . ” . En faisant  du facteur e (épileptique) un des huit facteurs de son système pulsionnel, SZONDI a non seulement réintégré l’épilepsie dans le champ de la psychopathologie, il lui a conféré son sens anthropologique dans le cadre d’une anthropopsychiatrie structurale. De maladie nosologiquement classable, l’épilepsie devient, au sens de HUSSERL,  un existential, une catégorie de l’existence, porteuse  sur son versant négatif, de la fureur meurtrière spécifiquement humaine, et de la figure de l’ “homo sacer” sur son versant positif. On a toujours su que l’épileptique était ce genre d’homme “qui a toujours le paroissien dans sa poche, le nom de Dieu sur les lèvres et la canaillerie dans le corps”(SAMT, 1875, cité par Henry EY, Etudes psychiatriques, Desclée de Brouwer, Paris, 1954, vol. 3, n° 26, p. 627). Encore fallait-il dépasser la description fleurie pour atteindre au niveau du concept. C’est ce que SZONDI n’a pas cessé de faire, la question posée par l’homme épileptique l’ayant conduit à écrire les deux livres où, de son avis propre, il a transmis le meilleur de son héritage,  à la fois scientifique et spirituel.

La deuxième raison est issue de notre expérience clinique. Ayant mission d’animer, en collaboration avec Jean MELON, un séminaire hebdomadaire de discussion de cas cliniques présentés par les étudiants en psychologie clinique de l’Université de Liège, au départ de leur expérience de stagiaire dans les hôpitaux psychiatriques, il nous est arrivé de très nombreuses fois, d’être confrontée à une pathologie qui ne commençait à devenir compréhensible que lorsque sa composante paroxysmale était repérée. L’épilepsie ayant disparu des traités de psychiatrie, les psychiatres n’y pensent plus et donc ne la voient plus,  alors que cette pathologie était autrefois parfaitement identifiée. Or rien n’indique qu’elle ait diminué en fréquence ni que la symptomatologie se soit abâtardie. Reconnaître la pathologie épileptique – ou épileptoïde – est pourtant de première importance. Le regard du psychothérapeute en est changé et la médication mérite souvent d’être réajustée, les anticomitiaux s’avérant efficaces là où antidépresseurs et neuroleptiques n’avaient pas d’effet ou étaient mal tolérés.

La troisième raison nous est beaucoup plus personnelle. Corrigeant les soixante tests de Rorschach, qui forment avec le TAT et le Szondi,  la matière de notre thèse de doctorat, nous avons eu la surprise de constater que chez bon nombre de nos sujets, qui sont des jeunes gens et des jeunes filles âgés de 18 ans lors de la première passation, et de 22 ans lors de la seconde, de 20 à 30% présentaient des  signes tout-à-fait analogues à ceux que décrit Françoise MINKOWSKA. Or il est très improbable que le tiers d’entre eux soient porteurs d’une affection cérébrale organique. Qui plus est, la présence des signes épileptoïdes au Rorschach était toujours associée avec une touche paroxysmale au Szondi et un style particulier au TAT,  le plus souvent moralisateur ou pontifiant.

Enfin, quatrième raison, nous nous étions promis de sortir des limbes un travail accompli par Pierre JEANGILLE en 1990, à l’occasion de son mémoire de fin d’études. Ce mémoire intitulé “L’épilepsie essentielle. Incidence de la différence des sexes” compare les tests de Szondi (5 profils) de 10 sujets féminins avec ceux de 10 sujets masculins , tous diagnostiqués épileptiques essentiels, atteints d’épilepsie primaire généralisée d’emblée, investigués selon les techniques les plus modernes et suivis régulièrement depuis plus de trois ans  au CHU de l’Université de Liège (Professeur Thierry GRISAR). Nous avions là un groupe d’épileptiques essentiels “triés sur le volet” et il eût été dommage de ne pas réexaminer leurs tests de Rorschach et de Szondi afin de nous faire une religion sur cette question autrefois si âprement discutée. Pierre JEANGILLE avait seulement établi le fait qu’il n’y avait aucune différence statistiquement significative, aussi bien au Szondi qu’au Rorschach, entre les hommes et les femmes épileptiques. Il ne s’est pas posé la question de la présence ou non dans les protocoles,  d’un éventuel  “profil épileptique”.

Nous nous proposons donc de reprendre cette question afin de voir si dans le groupe des 20 épileptiques essentiels rassemblés par Pierre JEANGILLE, quelque chose se dégage qui fait saillie et nous permet de relancer , sur des bases éventuellement renouvelées, la vieille question de la personnalité épileptique.

Notre perspective étant psychanalytique et structurale, nous ne nous contenterons pas de vérifier si tel ou tel signe dit classique est décelable ou non, nous veillerons à lui donner chaque fois sa dimension et son sens, nous risquant à l’interpréter dans l’optique pathoanalytique.

 

Le profil szondien de l’épilepsie essentielle

Nous partons du principe que tous nos sujets sont des épileptiques essentiels selon les critères aujourd’hui admis et nous postulons qu’ils sont représentatifs de cette catégorie.

L’âge moyen est de 28 ans, le plus jeune ayant 18 ans, le plus âgé 46. Tous suivent un traitement , le plus souvent monothérapique, à base de carbamazépine ou d’acide valproïque. Ce sont de “bons” malades qui consultent régulièrement. La plupart sont stabilisés mais un tiers environ continuent à présenter des crises de grand mal, à des intervalles de temps très variables.

Un biais important résulte du fait que, sur les 52 épileptiques essentiels qui sont suivis à la policlinique du  CHU, les 20 sujets retenus n’ont pas été choisis au hasard. Après que le but de la recherche ait été exposé par écrit à tous les patients, les 20 participants doivent être considérés comme les moins récalcitrants à une approche psychologique. Nous verrons plus loin ce que ce biais implique probablement, lorsque nous examinerons les profils obtenus dans le vecteur Sch.

Etant donné l’espace qui nous est imparti dans le cadre de cet article, nous ne pouvons pas en dire davantage concernant les caractéristiques de notre échantillon.

Nous ne pouvons pas non plus faire référence à tous les travaux szondiens antérieurs consacrés à l’épilepsie, sinon de manière incidente au fil de nos interprétations. SZONDI lui-même a tellement écrit sur ce sujet que le commentaire même sommaire de sa seule production devrait faire l’objet d’un article séparé.

Afin de tenter une première approche de notre population, nous avons choisi de la comparer, sur la base de la fréquence d’apparition des réactions vectorielles, à plusieurs autres échantillons de population pour lesquels nous disposons de données fiables.

En ce qui concerne les échantillons représentatifs de la population générale a priori normale, nous disposons des données de SZONDI, SOTO-YARRITU, Anne POCHET  et de notre propre échantillon qui comprend 15 jeunes gens et 15 jeunes filles de la région de Waremme-Liège, tous âgés de 22 ans. L’échantillon “pathologique” est celui de MELON qui concerne 111 sujets testés en cours de psychothérapie analytique en pratique privée. Il s’agit pour l’essentiel d’une population qu’on peut qualifier de névrotico-normale. L’âge moyen est de 35 ans. Pour ce qui concerne les charges (!) factorielles, les données font défaut chez SZONDI et SOTO.

Nous entamerons notre discussion à partir de l’examen des tableaux  1 et 2.

Notre population de référence principale étant celle des  jeunes gens de 22 ans, lorsque le test du 2 est applicable, nous  signifions par * que le seuil de probabilité est inférieur à p. 05, ** pour  p. 01 et *** pour p. 001.

Répartition des charges (!) exprimées en pourcentages dans les populations de POCHET (1), MELON (2), STASSART (3) et JEANGILLE (4)

h+   h-   s+    s-   e+   e- hy+  hy-   k+     k-   p+    p-   d+   d-  m+   m-

1          26    1     3   17      3    2     0   15     0      5      8     4     1     0    14      1
2            7    4     9     6     O    1     0   13     0      6      8     4     0   11    53      0
3            9    4   13     4      3    0     0   15     0      4    10     1     0     5    34      0
4          21    1   19     4      4  12     0     3     0      6      2     2     0     8    49      0

Nous notons que:

  • les épileptiques présentent la réaction P- – avec une très haute fréquence ***
  • par contre P + – est rare **
  • la réaction s – est rare *
  • la réaction S ++ est fréquente ***
  • la réaction d+ est quasiment absente, mais cette absence n’est significative que si on se réfère aux échantillons de Szondi, Soto et Pochet
  • la réaction k- est fréquente *
  • la réaction m+ est très fréquente (90% chez les épileptiques) mais cette écrasante majorité de m+ est communeaux trois derniers groupes, ce qui semblerait indiquer que C o+ et C -+ sont caractéristiques de la population wallonne en général.
  • en ce qui concerne les charges (!), on peut remarquer qu’elles affectent principalement h+, s+, e- et m+;par contre  hy- est remarquablement peu chargé cependant que cette réaction est très fréquente puisqu’on la rencontre dans 81% des cas;  pour ce qui est de la charge en m+, la remarque de la note 15 s’y applique évidemment.

Pour en terminer avec les chiffres, nous avons examiné les différences significatives qui pouvaient exister entre la population épileptique et celle des jeunes de 22 ans et ce, en prenant en compte le profil global (avant-plan + arrière-plan), c’est-à-dire la somme de toutes les réactions positives et négatives.

Pour comprendre la signification de ces données, il faut savoir que d’une manière générale, les épileptiques donnent très souvent à l’arrière-plan des réactions qui vont dans le même sens qu’à l’avant-plan, ce qui est à juste titre considéré comme un signe de rigidité, le risque étant faible que les positions observées à l’avant-plan puissent être modifiées dans l’avenir.

Les épileptiques donnent beaucoup plus souvent: m+!!! * ,  h+!! *** ,  s+!! *** ,  e – !!  ***, hy – !!  ** et k- !! ***.

Enfin, si nous prenons en compte la présence , à l’avant-plan, de la triade s + e – d – , dont nous dirons plus loin ce qu’il faut penser , nous la repérons chez 17 épileptiques (85 %) et seulement chez 5 sujets (16%) du groupe de comparaison ( 2 significatif à p. O25).

Nous allons maintenant examiner la dynamique interne de chaque vecteur.

 

Le vecteur P

Ce qui frappe le plus, c’est la présence, chez 19 sujets sur 20, de la réaction e – hy -.

Tout se passe comme si cette position était une position pivot à partir de laquelle de multiples variations peuvent se produire.

Philippe LEKEUCHE écrit:   “Alors que P ++ (Affektflut) renvoie à l’idée d’un fantasme projeté dans la motilité, d’une pantomime conversive hystérique, P – – est la réaction épileptique par excellence, celle du Caïn qui se cache”. La rage ne trouve pas à s’exprimer dans un fantasme, à se “figurer”(hy+). L’expression même de la rage est entravée. Pris dans sa rage, le sujet est aussi bien pris dans les mailles du filet qui l’empêchent  de bouger, de montrer, de dire, d’imaginer même ce qui le fait bouillonner. Szondi parle de “panique intérieure”, d’oppression angoissante (Beklemmung ), de cette angoisse indicible qui naît de l’hyperexcitation sexuelle – comme dans la névrose d’angoisse – ou de toute autre tension existentielle et qui ne peut conduire qu’à une immobilisation paralysante jusqu’au  “réflexe de faire le mort”(“Sich-tot-Stellen-Reflex“).

Cette position des affects, la plus pénible qui soit, est d’autant plus intenable que les freins (hy- le plus souvent combiné avec k – ) mis à l’expression de la rage – colère, fureur homicide ou vengeance latentes – ont pour effet de décupler celle-ci, ce dont rend compte la fréquente exacerbation de la tendance  e – (e – !, – !!).

Si presque tous les sujets présentent cette réaction e – hy -, deux seulement s’y maintiennent. La plupart virevoltent autour de cette position oppressante,  les uns trouvant à se “décharger” sur le versant e, dans la crise d’angoisse ou une quelconque manifestation sensorimotrice de leur tension exacerbée, d’autres usant de la soupape  hy(stérique) c’est-à-dire en faisant passer leur malaise dans la relation à un autre sujet ou en le projetant dans une mise en scène fantasmatique (hy +, o, ±).

Il n’y a pas un seul sujet qui ne soit confronté au flux permanent de la rage, mais pas un seul non plus qui ne consacre l’essentiel de ses défenses et de son énergie à lutter contre. La seule prise en compte de la permanence de cette disposition affective repérable dans le vecteur P, suffirait à spécifier cette population.

Rappelons la moindre fréquence de P + -, indice d’une faible intériorisation du Surmoi. Plus exactement, ce qui fait ici défaut est la tendance à réparer ( e+:    Gutmachenwollen), tendance “érotique” au sens freudien du terme, qui obéit à l’invitation à dépasser la haine meurtrière et qui permet seule, comme le rappelle VERGOTE, qu’un surmoi “éthique” finisse par supplanter un surmoi “archaïque”, toujours destructeur en puissance et fer de lance de la pulsion de mort (FREUD, Le moi et le ça, 1923:   “Le surmoi est une culture pure de la pulsion de mort”, pour autant, faut-il le préciser, qu’il est resté à l’état originaire).

Nous avons seulement rencontré un sujet qui ne présentait pas le profil P décrit ci-dessus, mais son profil

fait apparaître une culpabilité écrasante (e+!) sur fond d’ambivalence homosexuelle , ce que suggère le premier profil aussi bien à l’avant qu’à l’arrière-plan. On peut voir ici que la culpabilité est un substitut pour l’accrochage abandonné (m-).

Le vecteur S

 Nous sommes tentée de répéter à propos de ce qui s’observe dans le vecteur Sexuel ce que nous venons de dire à propos du vecteur des affects. La réaction la plus fréquente est S ++ ;  on la rencontre chez 13 sujets mais elle n’est jamais stable, les tensions y sont violentes, surtout au niveau de la réaction s + qui est souvent surtendue (s+!, +!!). C’est le signe d’un besoin exacerbé, mais toujours frustré, de dominer l’objet, de le subjuguer, d’exercer sur lui une maîtrise ou une prise qui paraît constamment vouée à l’échec. De là à penser que la rage , reconnue en  e -, puisse être la conséquence de la frustration sexuelle et, plus spécifiquement de l’impuissance à posséder complètement l’objet, il n’y a qu’un pas qu’il est bien difficile de ne pas franchir. Ne serait-ce pas parce que, dans le fantasme du sujet, l’objet se dérobe et refuse de satisfaire par là à sa demande d’amour effrénée (h+!), que la tension ne cesse de monter? De ces tensions extrêmes et de ces décharges qui, comme en P, se produisent tantôt sur le versant h (le sujet est occupé à séduire, tendu dans ce sens), tantôt sur le versant s (il décharge ou se décharge à travers une action motrice), peuvent témoiner les quelques exemples qui suivent:

Si la problématique évoquée en P nous suggérait la pensée qu’on se trouve en présence de sujets qui ne parviennent pas à maîtriser les affects et plus particulièrement les affects de rage , nous trouvons en S une forme d’explication de cette rage en même temps que nous découvrons une formidable concentration de la libido d’objet qui ne veut ou ne peut ni lâcher sa proie ni assouvir son désir de la posséder absolument, ce qui aboutit nécessairement en stase toujours prête à se déborder elle-même.

L’explication de la tension s+! par la frustration est sans doute trop simple. Dans l’érotisation de la tendance “sadique”, il y a aussi une tentative d’orienter la libido dans le sens de l’investissement actif d’un objet extérieur. Dans le schéma pulsionnel, s+ représente le moment de l’orientation objectale de la  libido sexuelle et donc aussi celui de la sortie de l’enfermement narcissique (h+ s -)-fusionnel(d – m+). Dès lors s+!  peut s’interpréter positivement dans le sens d’un effort tendu pour forcer la libido à entrer dans les voies de l’objectalité. Autrement dit, le sujet qui se révolte (e -) contre le sentiment de son emprisonnement par l’autre, revendique en même temps le droit (s+!) de “sortir”.

 

Le vecteur Sch

Ce qui domine dans le vecteur du Moi, c’est, dans 80% des cas , une position ferme en k -. Celle-ci est d’autant plus nette qu’à l’arrière-plan, c’est la même réaction k- qu’on retrouve , si bien que la majorité des sujets peuvent être caractérisés comme des négateurs absolus.

Mais que nient-ils?

A notre avis ce ne peut être que tout ce qui a déjà été évoqué, leur besoin de maîtriser l’objet et les affects de frustration massive et de rage désespérante qui les animent.

Ce positionnement énergique dans l’attitude de la négation refoulante rendrait compte à la fois du réalisme militant de ces sujets, de leur propension à rationaliser et à tenir sur toutes choses des propos légalistes, mais aussi du blocage de la pensée et de l’action qui , du fait de l’énorme pression pulsionnelle qu’il leur faut contenir, prennent  des allures de  pesante lenteur, de stagnation entrecoupée de brusques échappées et de fulgurances imprévisibles.

La fréquence relativement élevée de la réaction Sch – o fait évoquer des sujets qui extérieurement veulent apparaître comme forts, raisonnables, adaptés, réalistes mais qui ne peuvent réaliser cet exploit qu’en se niant eux-mêmes, ce qui, étant donné ce que nous savons par ailleurs, leur impose un effort considérable.

Nous sommes surprise par la présence chez beaucoup (65%), de façon intermittente le plus souvent, du profil du moi dit “inhibé”, Sch – + , mais qui fait un effort pour essayer de se comprendre, à la différence du Sch – – ou du Sch – o. Cette tendance est en contradiction avec les données de l’empirie telles que SZONDI les a consignées au fil de son expérience au contact des épileptiques. En effet, lorsqu’il décrit le “Centre” (Mitte) classique de l’épilesie essentielle, SZONDI le présente comme  suit:

e                   hy                      k                     p

–                    – !                    – !                      –
o                     -!                     -!                     -!
o                      –                     ±                      –
o                      –                     o                     o
–                      –                     o                      –
–                      –                      –                     ±

où on peut voir que la tendance p+ est absente.

Nous n’avons pas d’explication valable de la fréquence relativement élevée de p+ dans notre échantillon, en dehors du fait empiriquement vérifié que p+ – tout comme hy- –  est une réaction dont la fréquence croît régulièrement avec le temps qui passe dans la population occidentale, signe d’un individualisme également croissant.

Classiquement, l’orientation en p différencie l’hystérique de l’épileptique. Tandis que l’hystérique “pense”, “imagine” ou “invente” (ce sont trois significations possibles de p+) l’autre de son désir et “sort” par là de la réalité, l’épileptique “projette”(p – ) ses désirs et ses affects sur l’autre, refusant la différence, la différenciation et donc aussi une certaine perte d’une certaine réalité. C’est dans ce sens qu’on peut dire que l’épileptique “colle” à la réalité. En fait, il colle à ses projections perceptives. Nous verrons plus loin, à propos du vecteur C, que l’adhésivité résulte probablement de la condensation de plusieurs tendances. Sans doute est-elle notamment à mettre en rapport avec la pregnance des positions pulsionnelles dites premières -“contactuelles”- dans la théorie des circuits, c’est-à-dire:    m+ , h+, e – et p -.

Pour ce qui concerne les trois premières positions, elles sont effectivement présentes de façon massive chez tous les sujets de notre échantillon. Par contre p – fait souvent défaut.

Peut-être devrions nous tenir compte du fait qu’il s’agit d’épileptiques “légers”, ambulatoires, jeunes et d’un bon niveau intellectuel pour la plupart? Surtout, il est bon de rappeler ici que notre échantillon n’est pas vraiment représentatif de la population épileptique dans son ensemble. Nos sujets sont ceux qui ont accepté de se soumettre à une enquête de personnalité, et ceci explique peut-être cela. La position p+, qu’on a coutume d’associer avec le désir de se mieux connaître est peut-être spécifique de notre échantillon.

Il reste que , dans l’optique de la théorie des circuits pulsionnels, p+ est la seule position quatrième qui soit représentée  dans notre population épileptique. On pourrait en conclure que, si l’ambition existe de se produire comme individu au sens fort du terme, le travail psychique qui devrait normalement s’enclencher à partir de cette visée, n’opère pas.

Nous ferions alors à propos de p+ la même hypothèse que pour s+:    nos sujets manifesteraient sur les deux plans de la différenciation identificatoire et de l’orientation objectale de la sexualité une même tendance progrédiente, mais seulement à l’état d’ébauche intentionnelle, trop faible pour entraîner une évolution processuelle allant dans le sens de l’émancipation et de l’autonomisation psychiques.

Le vecteur C

Les réactions observées dans le vecteur du Contact nous causent beaucoup moins d’embarras. En effet, de manière quasi unilatérale, les positions les plus investies sont C- + et Co+, avec le plus souvent des charges en d – et surtout en m+. Les positions d+ et m- ne sont pratiquement jamais occupées.

Notre interprétation est simple;  faute de pouvoir assumer sa pulsionnalité dans la réalité et au niveau génital, l’épileptique, en cela peu différent du névrosé ordinaire (voir la population de MELON), régresse au plan libidinal. Il se retranche dans un monde prégénital d’essence maternelle, se nourrissant essentiellement d’un fantasme de retour au sein.

Lorsque, dans la discussion du cas de l’Homme aux Loups (GW, XII, 134-137), FREUD s’interroge sur le sens du fantasme de retour dans le ventre de la mère aussi bien que du fantasme de renaissance qui lui est intimement associé, il y voit essentiellement un substitut régressif du fantasme originaire de la scène primitive. C’est pourquoi il hésite à faire entrer le fantasme de retour au sein dans la série des Urfantasien:   séduction, scène primitive, castration.

Dans le fantasme du retour au sein, tout se passe comme si rien de grave n’était arrivé, comme si l’illusoire paradis primitif était resté intact. Ce paradis, c’est celui de la sexualité infantile prégénitale où l’enfant peut encore imaginer qu’il trône entre père et mère, par le truchement du mythe du “divin enfant” et de la “Sainte Famille”[1].

Une question se pose ici, concernant l’extrême rareté de la réaction m -, qui rejoint celle que nous avons posée à propos de la fréquence de p+. En effet, SZONDI donne la “triade meurtrière” (Mörder-E) , c’est-à-dire l’association e – p – m –  (meurtre) ou  e – k – m – (suicide) comme profil paradigmatique de la phase prodromique de la crise. Ce profil manifeste justement, dans la phase de tension aiguë qui précède la crise, l’importance décisive que prend la tendance à “couper le contact”, à tout lâcher brusquement (m -).

Dans les phases intercritiques, c’est la tendance contraire à l’accrochage (m+) collant

(d -) qui domine absolument, comme si le sujet, renforçant et assurant par là le mécanisme de la négation, devait affirmer la permanence d’une ambiance fusionnelle absolument harmonieuse et s’en convaincre sans cesse pour contredire la poussée permanente des violentes tendances séparatrices (m-), agressives (s+) et destructrices (e-) qui l’habitent.

Or le traumatisme s’est produit et on peut se permettre de le situer  dans le temps mythique de la scène primitive.

Le jeune conquérant (s+!) se serait trouvé brutalement jeté hors de la scène et donc interdit de participer aux ébats des parents. Renvoyé dans son lit-cage, il continue d’enrager (e-!) comme au premier jour. Et comme il obéit malgré tout à l’interdit (hy – k – ), sa rage n’en faiblit pas pour autant car, de l’exclusion qu’il subit, il ne comprend pas le principe. Sujet “à” la rage, il devient sujet “de” la rage. Il est certain que l’épileptique reste bloqué dans un état où se perpétue le conflit frontal entre, d’une part, une revendication sexuelle violente (h+!) associée à une furieuse envie d’ “occuper la place” (s+!) et, d’autre part, un interdit aveugle qu’il perçoit comme absolument arbitraire:   “Tu dois”! (hy- k-). Tout se passe comme si le sujet était incapable de “réfléchir”, de penser la question de l’interdit, et donc de la perlaborer, ce qui n’est possible qu’à travers l’élaboration du fantasme de castration.

On va trop vite quand on amalgame simplement, à partir d’une interprétation sommaire de l’analyse freudienne du cas DOSTOIEVSKI, épilepsie et meurtre du père. Si on lit bien FREUD, on peut voir qu’il considère d’abord DOSTOIEVSKI comme un hystérique qui se servait de son aptitude à convulser pour vivre hystériquement sur le mode de la conversion , sa relation homosexuelle ambivalente au père. La question du meurtre du père, ou du parent rival, est une question névrotique , qu’on peut vivre à la mode hystérique ou à la manière obsessionnelle. La question plus fondamentale de la violence originaire, du meurtre de l’autre sans spécification du destinataire de la pulsion homicide – comme l’avait bien vu STEKEL dès 1911 – est la question que pose l’épileptique.

De ce point de vue, SZONDI ne s’est pas trompé en choisissant ici la figure de Caïn plutôt que celle d’Oedipe.

Colette GUEDENEY, revenant sur la question cruciale de la première crise, qui survient souvent dans l’enfance, écrit: “Ces sujets vivent les relations de leurs parents comme un véritable assassinat narcissique, ce qui suscite en eux des désirs de vengeance meurtrière d’une rare violence. On peut se demander si la scène primitive ne réactive pas la blessure narcissique originaire d’avec l’objet primaire. Les fantasmes de scène primitive sont mortifères, les imagos parentales souvent peu distinctes mais tout aussi dangereuses. Il s’agit de centrifugeuses engloutissant et broyant les parents, de crocodiles se dévorant jusqu’au dernier, d’incendies consumant les parents devant un sujet paralysé d’horreur. Tout respire ici la violence sanguinaire. Il ne s’agit pas tant, comme dans l’hystérie, de détruire le parent rival pour obtenir l’autre, que de détruire les deux parents responsables de la déception et de l’impuissance du sujet (p.  312). . . . La projection finit par l’emporter sur la dramatisation. . . La scène primitive est insuffisamment refoulée. Elle est d’autant plus virulente qu’elle ne s’est pas suffisamment organisée en fantasme. Il y a un manque d’élaboration des imagos. La puissance des pulsions et la mauvaise organisation du moi n’ont pas permis une constitution des imagos qui passe par un aménagement du moi comme dans l’hystérie. On reste plus dans la lignée de la déception que dans la lignée de la séduction et de la castration. La crise hystérique a une valeur symbolique. Dans la crise comitiale, il y a échec de la symbolisation (p.  319). “

Au lieu de perlaborer la question du meurtre au travers de la problématique de la castration – où vient à jouer la différence des sexes et où, par voie de conséquence, père et mère apparaissent beaucoup plus différenciés que dans la scène primitive – l’épileptique, selon l’expression de Philippe LEKEUCHE: “. . . translabore ce qui est de l’ordre du vecteur P sur le mode du vecteur C. . . les trois personnages de la scène primitive baignent dans une ambiance de mort où les différences existant entre eux se dégradent:   de par la rage, les voilà tous les trois réduits en cendres, au même point – mort!. Inversément la problématique P déteint après-coup sur  l’ambiance familiale où l’on trouve une collusion étroite entre la pulsion de mort et l’excitation libidinale, où il existe une grande promiscuité affective entre les membres de la famille, l’un ressentant immédiatement ce que l’autre éprouve, comme s’il y avait tout le temps de l’électricité dans l’air. Le refus d’être exclu des ébats parentaux devient refus d’être expulsé du ventre maternel. La crise vient à la place d’un deuil à faire. Faire ce deuil signifie accepter la déception inscrite dans la vie. La crise est comme une tentative de surmonter le sevrage et de ne pas le surmonter. Car la répétition d’un phénomène est une manière d’en rester là. “

C’est ce mélange des genres, la confusion entre excitation libidinale (S +!+!), rage homicide (e -!) et re-fusion primordiale ( C -! +!!) que révèle si bien le profil de l’épileptique essentiel au test de Szondi.

En voici un exemple:

Notons encore que c’est le seul sujet dans tout l’échantillon des 20 épileptiques essentiels qui présente, au 5e profil de l’arrière-plan, la classique triade meurtrière-suicidaire, associée au “bloc d’irréalité”(p-d-m-) prépsychotique.

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Un des intérêts majeurs de l’apport szondien est qu’il nous permet de ressaisir dynamiquement le sens des “signes” épileptiques tels qu’ils se manifestent non seulement dans la clinique mais encore, et bien mieux, à travers le test de Rorschach. L’explosivité se comprend facilement si on tient compte de la lutte gigantesque et incessante que mène le sujet contre le quantum confus d’excitation aussi bien sexuelle (S+!+!) que rageuse-destructrice (e -!) qui s’accumule inexorablement en lui.

Le blocage saccadé de la motricité (s+ e- avec k -) se traduit directement par des sensations de mouvement de va-et-vient dans les perceptions kinesthésiques, d’où la succession des K ou k statiques, secondaires ou confabulées.

Quant à ce besoin compulsif de tout faire coller ensemble à tout prix, phénomène qui a déterminé Françoise MINKOWSKA à faire du signe “lien” le signe épileptoïde par excellence, il ne faut pas y  voir seulement la manifestation de la tendance réparatrice mais bien plutôt l’effet d’une certaine forme de “régression” sensori-motrice, évidemment positive, visant à maintenir (d -! ) en s’y cramponnant (m+!), un monde perçu comme toujours en train de se disloquer.

Au Rorschach,

en effet, la découverte est saisissante.

Nous entrons dans un monde où la sensorialité se trouve exacerbée.

Pas à pas, protocole après protocole, l’impression d’une ambiance spécifique se dégage, se renforce et trouve une confirmation particulièrement éloquente à travers l’expression, le langage et les contenus projectifs de nos vingt sujets:   lumière, son, chaleur, couleurs en mouvement, densité, masse, texture produisent la sensation et composent le rythme.

En voici quelques exemples.

Les chiffres renvoient pour le premier aux numéros d’ordre des sujets tels qu’ils sont désignés dans l’ouvrage de JEANGILLE, pour le second au numéro de la planche du test de Rorschach où la réponse apparaît.

  1. 10. (v)”. . un ensemble d’insectes. . . insectes parce que c’est fin, c’est tout petit et toutes ces couleurs qui ont l’air d’être en mouvement“.
  2. 1. (v) “. . je dirais plus un papillon de nuit. . . c’est la forme. . . il est plus gros, presque plus lourd, plus épais. . . “
  3. 2. (v) “Deux animaux qui s’aiment, le grand choc, une danse aussi. . . ” puis à l’enquête: “Les animaux s’aiment, on a l’impression qu’il y a une liaison entre les deux taches. . . il y a une liaison entre les deux. . . pourquoi pas de l’amour puisqu’il y a du rouge?. . . (le grand choc?). . . oui, un choc, là, le sang qui jaillit et ils ont le visage rouge, la chaleur, la chaleur du corps. . . “
  4. 3 (v) “Oh!encore mieux. . . deux femmes qui font peut-être de la gymnastique. . . un crapaud, juste comme ça, le reflet, comme ça, dans le noir, et on ne le voit pas entièrement. . ” et à l’enquête: “Deux femmes, la forme, les formes, la tête, la poitrine, la forme des chaussures avec des talons et elles font de la gymnastique au son du tambour. . . et le crapaud, ici, les pattes et les deux gros yeux;  il n’y a pas beaucoup de lumière mais elle fait un reflet sur le corps du crapaud gros et laid”.
  5. 2 (v) “De la lumière (le rouge) suspendue à un abat-jour” puis à l’enquête: “la forme blanche de l’abat-jour et la lumière rouge qui en sort”.
  6. 9. (v) “De la lumière. . . et quelque chose qui s’ouvre dont on voit l’intérieur. . . un ancien château, il s’ouvre, voilà la tour centrale et là le soleil qui illumine le tout”.
  7. 8. (v)”Deux animaux, des félins. . . comme ça on dirait qu’ils passent de pierre en pierre au-dessus d’un ruisseau, ils viennent peut-être s’abreuver”. A l’enquête: “Les félins. . . la forme. . . la symétrie fait penser à un reflet dans l’eau, il doit faire chaud, les couleurs sont claires“.
  8. 4. (v)”Une peau d’animal, on a l’impression qu’elle est écrasée, comme on peut en voir sur la route, une rue très fréquentée, avec le sang qui est tout séché, une vieille peau sale et rongée”. A l’enquête: “C’est la forme mais c’est surtout l’impression qu’elle est séchée, écrasée, sale, à cause des différentes couleurs, comme du sang séché“.
  9. 2. (v) “L’ensemble fait penser à un insecte qu’on aurait voulu écraser, qui saigne. . “. A l’enquête: “La couleur et un peu la forme. . . (écrasé?). . c’est la symétrie et les parties noires. . . comme quelque chose d’écrasé avec le sang qui a coulé et qui est séché à quelques endroits”.
  10. 8. (v) “Un volcan avec la lave ici en bas”. A l’enquête: “La forme de la montagne avec la lave bouillante mais qui n’est pas encore sortie”.
  11. 10. (v)”Il y a beaucoup de choses. . . une lyre. . . mais ce qui me frappe, ce sont ces deux taches auxquelles sont rattachées certaines petites parties. . . là on dirait des cerises ou des notes de musique”.
  12. 3. (v)”Une île volcanique dont il y aurait deux volcans à l’extérieur de l’île, en éruption, et deux volcans à l’intérieur avec des coulées de lave, le reste, l’autre partie de l’île, celle qui ne serait pas en feu, il y aurait une forêt bien verte avec ici et là des cultures”. A l’enquête: “C’est une île, il n’y a rien autour, de l’eau. . . (volcanique?). . . à cause des volcans, il y en a deux sortes, les uns avec une forte coulée de lave, encore fraîche, en éruption, et les autres dont la lave s’est un peu durcie. Le reste de l’île se compose de forêts plus sombres et de cultures aux endroits plus clairs”.
  13. 7. (^)”Le tout, on peut dire des nuages”. A l’enquête: “La forme et la couleur, des nuages sombres qui amènent la pluie”.
  14. 3. (v)”Deux pianistes de concert, en noir, qui jouent sur un tout petit piano. . La salle est décorée de notes de musique en rouge“.
  15. 4. (^)”Un gros insecte”. A l’enquête: “. . . voilà ses ailes et son corps, il semble résistant, massif, un gros insecte, poilu, repoussant. . . “

 

C’est dans un “bain” sensoriel que  nous sommes littéralement plongés! Comme l’avait déjà parfaitement anticipé Françoise MINKOWSKA dans l’Etude n° 3 de son ouvrage “A la recherche du monde des formes”:   “L’épileptique voit, l’épileptique sent” et nous apparaît sous “l’emprise du contact sensoriel” (p. 126).

Emprise du contact sensoriel :   c’est bien , nous semble-t-il, le terme le plus adéquat:

  1. 8. (^) “Un volcan refermé dont le feu est toujours allumé et qui va peut-être se mettre en. . . se réveiller. . . et il y aurait deux ours qui monteraient et qui seraient collés dessus. . . ils ne savent plus s’en détacher“. Enquête: “Ils sont collés sur le volcan, ils grimpaient mais ils sont restés collés”.
  2. 9. (^) “. . ça me fait penser à la suite de l’autre, du précédent; le volcan se serait réveillé et les deux ours seraient désintégrés ou ensevelis par la lave. On aurait tenté de les sauver mais on n’y serait pas parvenu”.
  3. 4. (v) “Un robot, voilà la tête minuscule, les pieds énormes en dessous et la queue derrière. On dirait qu’il est assis et que ses mains sont attachées“. Enquête: “C’est la forme, avec ses bras, une impression de grosseur, de perspective, et ses mains ont l’air attachées, elles ont l’air de se diriger vers l’arrière, comme s’il était lié”.
  4. 6. (>)”Une fusée qui décolle et la fumée là en bas. . là on dirait un drôle d’insecte, bizarre, qui fait des battements d’ailes. . . on pourrait dire une libellule. . . (^). . . (>) ou une sorte d’usine poussiéreuse avec le nuage de fumée“. Enquête: “La libellule, c’est cette partie-ci, avec les battements d’aile là. . . elle se dégage peut-être. . . l’usine, c’est surtout la fumée, la couleur qui forme un gros nuage ou de la poussière. . “
  5. 6. (v)”Une peau de souris, voilà son museau avec ses moustaches et sa peau, ses poils là. . . une peau de souris morte”. Enquête: “On dirait ses poils, comme de la fourrure et la forme du museau avec les moustaches. . . (morte?). . oui, elle est étalée, plaquée ou collée, elle serait morte”.
  6. 6. (v)”Là on dirait deux ours qui sont collés, ils se sont relevés sur les pattes arrières. . “Enquête: “C’est la forme des deux ours redressés. Ils étaient collés et se détachent maintenant”.
  7. 6. (v)”On voit aussi deux ours attachés dos à dos à un mât. Ils seraient collés au mât et ils tireraient chacun la langue”.
  8. 4. (v)”Un Bernard-l’Hermite qui traîne son coquillage”.
  9. 6. (>)”Vu comme ça on dirait la cheminée d’un bateau. . et voilà le bateau avec ici devant quelque chose qui est tombé dans l’eau et qui éclabousse, et la fumée qui entoure le bateau“. Enquête: “La forme, ici on voit l’avant du bateau, la cheminée, et puis le tout est enveloppé de fumée”.
  10. 7. (v)”Deux petites bêtes qui se tournent le dos comme à la planche précédente et au-dessus d’eux, peut-être une pierre; ils seraient coincés sous la pierre et tenteraient de se dégager”. Enquête:”Voilà leur tête et leur corps, ils sont redressés et tentent de se dégager, de sortir en soulevant la pierre”.

A travers nombre d’ illustrations, on s’aperçoit en outre que la forme reste par endroits imprécise, diffuse, comme si l’objet aux contours définis ne parvenait que difficilement à faire saillie, à émerger comme entité individuée. L’effort en vue du dégagement est pourtant très sensible:   la kinesthésie infiltre la plupart des projections des sujets épileptiques mais elle débouche rarement sur un mouvement d’accomplissement identificatoire achevé. La kinesthésie stagne au niveau de la sensation, ne trouvant pas – ou ne trouvant que secondairement – de support concret où s’actualiser(descriptions cinétiques et sensations kinesthésiques sont des phénomènes fréquemment observés, repérables chez 14 sujets sur 20):

  1. 10. “Toutes des couleurs qui ont l’air en mouvement“.
  2. 4. “Le bas est gros et ça s’étire“.
  3. 8. “C’est la force qui se relie pour ne faire qu’un”.
  4. 10. “Quelque chose qui se lie, qui se soude pour toujours“.
  5. 2. “On a l’impression qu’il y a une liaison entre les deux taches. Pourquoi pas l’amour puisqu’il y a du rouge”.
  6. 10. “Le petit manège des animaux”. Enquête: “C’est les couleurs et une impression de mouvement, les couleurs donnent une certaine agitation, comme les oiseaux par exemple”.
  7. 9. “De la lumière et quelque chose qui s’ouvre dont on voit l’intérieur”.
  8. 10. “Des crabes, des coqs, des petits monstres. . . c’est dynamique, vif, il y a du mouvement là-dedans”.
  9. 5. “Un oiseau qui plane dans le ciel. . . il se laisse porter par le vent”.
  10. 4. “Un saut dans le vide d’une personne. . . un plongeon“.

Et si la kinesthésie trouve ce support, elle traduit alors presque toujours l’accrochage, l’appui, la prise, une position statique sous tension ou la recherche d’équilibre:  

  1. 8. (v) “. . ça, on dirait deux mains, mais le reste. . . deux mains qui vont tenir ou soutenir quelque chose, qui vont prendre ce qu’il y a au milieu, mais je ne sais pas ce que c’est le milieu. On dirait presque un tronc, un buste et le cou, jusqu’à l’aine, non, jusqu’à la moitié de l’abdomen”.
  2. 6. (v)”Un oiseau qui se pose sur un rocher“.
  3. 6. (v)”Un oiseau qui atteint. . . les ailes déployées. . mais sur quoi?. . . je ne sais pas. . . un genre de rocher. . “
  4. 9. (v) “Deux pieds d’une danseuse et au-dessus voilà sa jupe et là son chemisier gonflant. . . elle semble grosse et malhabile. On pourrait voir une barre derrière elle, elle s’appuie peut-être sur un piquet parce qu’elle a manqué de tomber. . . c’est tout. . “. Enquête: “La forme générale, mais ce n’est pas très fin ici; une danseuse qui manque de tomber et qui se rattrape à un piquet”.
  5. 7. (v) “Ici, je ne suis sûr de rien. . Hum!peut-être deux enfants, deux garçons (rire) en équilibre sur un rocher”.
  6. 1. (v) “Une chauve-souris”. Enquête: “Ici les deux pattes qui s’accrochent et la tête, et les ailes déployées. Elle est suspendue , les ailes ouvertes”.
  7. 3. (^) “Deux négresses”. Enquête: “c’est la forme, ce sont des dames parce qu’elles ont une poitrine; elles se regardent mutuellement ou font de l’exercice;  elles se tiennent à un poids et se tirent vers l’arrière”.
  8. 8. (^)”Comme ça, on dirait voir deux mains et des doigts qui s’agrippent” et dans le même détail: “on pourrait dire deux lions là”. Enquête: “Ils sont appuyés sur un rocher ou en train d’observer leur proie, prêts à bondir”.
  9. 6. (v) “Deux ours”. Enquête: “Ils ont les pattes dressées, la tête appuyée contre l’arbre, ils se frottent le dos”.
  10. 10. (^)”Et là deux papillons posés, les ailes repliées”.
  11. 6. (^) “Peut-être deux drapeaux qui flottent”. Enquête: “C’est la différence de couleur, ils flottent au vent, accrochés à une sorte de mât”.

L’objet “atteint” participe rarement d’une dynamique relationnelle souple et légère, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Il remplit une fonction essentiellement utilitaire de base tangible sur laquelle on peut se tenir, ou de Haltobjekt , selon l’expression de SZONDI, auquel on peut s’accrocher, s’agripper.

L’investissement moteur semble donc principalement engagé dans un effort d’extraction et de saisie d’un élément différenciateur, extérieur au “magma sensoriel”.

Cependant l’angoisse de “tomber dans le vide”(cfr sujets 10 et 15) sans doute liée au désir coupable de se diriger vers la sortie libératrice d’une part,  et la force d’aimant qu’exerce le bain fusionnel aconflictuel d’autre part, obèrent et risquent de faire échouer toute tentative de séparation et d’individuation.

La réponse , déjà citée, du sujet 5 aux planches 8 et 9 est exemplaire:

“Un volcan refermé dont le feu est toujours allumé et qui va peut-être se mettre en. . . se réveiller. . . et il y aurait deux ours qui monteraient et qui sont collés dessus, ils ne savent pas s’en détacher. . . ils sont collés sur le volcan, ils grimpaient mais ils sont restés collés” , et à la 9:   “ça me ferait penser à la suite de l’autre, du précédent, le volcan se serait réveillé et les deux ours se seraient désintégrés ou seraient ensevelis par la lave;  on aurait tenté de les sauver mais on n’y serait pas parvenu”.

Le balancement, très perceptible dans la séquence diachronique des réponses au Rorschach, entre:

  • l’appréhension globale du stimulus visant à produire à tout prix une impression d’ensemble et la tendance inverse à la division symétrique,
  • la viscosité et l’impulsivité,

témoigne de façon étonnante de la présence d’un conflit permanent , difficilement symbolisable pour le sujet épileptique, entre deux forces opposées, l’une tournée (“pliée”, “courbée”) vers l’indifférenciation, l’autre tendue vers la différenciation.

Cette cadence oscillatoire serait alimentée par une constante poussée libidinale agressive à visée séparatrice.  

  1. “. . et là, ça sort comme une espèce de sentier. . “
  2. “On pourrait croire un rat qui saute, qui s’en va au pas de course“.
  3. “Deux femmes, elles tirent quelque chose et chacune essaie de tirer à soi, elles s’opposent“.
  4. “Ça me fait penser à un personnage de dessin animé, il crache du feu et il y a deux cygnes qui sortent là. . “
  5. “Le corps du garçon qui va se battre et il se transforme en cheval. . . la tête du cheval qui part comme ça. . et là un taureau, voilà les cornes. . . . un taureau qui charge“.
  6. “. . on a l’impression de voir comme une forêt et le feu qui se rapproche comme pour brûler le tout, un feu dévastateur”.
  7. “C’est la forme d’un papillon, il vient de sortir de son cocon. C’était d’abord une chenille mais ici on voit le papillon”.
  8. “Deux indiennes qui se tournent, elles s’écartent l’une de l’autre, peut-être se sont-elles disputéesou alors elles dansent”.
  9. “Un personnage qui crache du feu en l’an 5000 avant Jésus-Christ, un démon qui se fâche. . “
  10. “Un volcan en éruption“.
  11. “L’ensemble me fait penser à un feu d’artifice, tout qui explose“.
  12. “Deux femmes, deux noires, elles se disputent peut-être les restes avec les chairs qui pendent. . . c’est la forme, leur position qui fait penser qu’elles tirent chacune de leur côté. . “

. . . “la forme de la montagne avec la lave bouillante mais qui n’est pas encore sortie. . . “. . . “Voilà le volcan qui entre en éruption, la lave qui sort. . .

  1. “Un duel sanglant avec les protagonistes qui se tiennent les mains et le rouge c’est peut-être des taches de sang“. . . “deux animaux qui veulent se battre et qui se heurtent à un piquet”.
  2. Deux ours qui se battent pour un territoire et leurs blessures mutuelles aux pattes. . les pattes avant l’une contre l’autre et ils se battent. . “

 Mais cette agressivité potentiellement séparatrice et individuante n’aboutit pas;  la pulsion est déviée dans le sens inverse, celui de la pente régressive contenante et globalisante:  

  1. 10. “. . . c’est souvent le même de chaque côté, en double. . . . qu’on remet en face de l’autre. . . (10″). . . . quelque chose qui se lie, qui se soude pour toujours. . . ça représenterait l’été parce qu’il y a des bourgeons. . . l’union fait la force aussi. . . (15″). . . un petit coeur dans un grand coeur. . . ça, c’est un visage, je ne vois rien d’autre”.
  2. 9. “Deux jumeaux dans l’utérus“. Enquête: “Une femme couchée et ceci donne l’impression d’un sein. . . la tête fait défaut. . . elle est couchée et ici elle serait enceinte, prête à s’accoucher. . . “

Tout se passe comme si le sujet affecté d’épilepsie essentielle ne pouvait “advenir” vraiment et se réaliser en tant qu’individu sexué, pleinement différencié. Constamment retenu par l’attraction fusionnelle, pris dans les filets d’une adhésivité piégeante, sa rage désespérée ne pourrait que s’intensifier au point d’en devenir explosive et destructrice. Les contenus agressifs et les thèmes d’explosion, de feu et de tache se rencontrent dans 18 protocoles sur 20.

C’est à ce niveau, pensons-nous, qu’interviendrait le besoin compulsif de tout “lier”, de tout faire “coller” ensemble à tout prix, phénomène qui a conduit Françoise MINKOWSKA à faire du signe “lien” le signe épileptoïde par excellence. Face à un monde  perçu comme toujours en  train d’éclater et de se disloquer, la visée immédiate serait de maintenir les éléments soudés.

Le signe “lien” se rencontre dans 19 protocoles sur 20.

  1. 2. “Deux bonshommes qui se tiennent la main”.
  2. 5. “Deux nuages qui se rencontrent (rire). . . comme deux pattes de chaque côté, deux hommes ou deux lapins qu’on rassemble ensemble. . . ils sont couchés là”.
  3. 8. “. . . ça pourrait très bien être un signe de drapeau, ça pourrait relier les deux bêtes, c’est la force qui se relie pour ne faire qu’un. . . oui ça peut être l’Union fait la Force. . . “. Enquête: “Ce sont des bêtes, des animaux puissants qui sont reliés ici comme en tenant quelque chose, la force quoi!Deux personnes ensemble valent mieux qu’une, elles ont plus de force, c’est un peu ça. . . “
  4. 2. “Deux animaux qui s’aiment, le grand choc. . . on a l’impression qu’il y a une liaison entre les deux taches, les mains qui se joignent, ils se touchent avec le genou. . . “
  5. 10. “Un paysage avec des oiseaux, des animaux, comme des poissons aussi. . . oui, ça rassemble tout, les animaux, la cabane, ça forme un tout. . . “
  6. 3. “Elle me fait penser à un insecte, un papillon. . . ça a la tête d’une mouche, d’un insecte de toute manière, de gros yeux avec l’avant d’un scarabée. . ou alors ce serait un tatouage de papillon sur son dos”(FFA). Enquête: “Le tatouage, c’est l’ensemble avec la tache rouge, le papillon sur l’insecte, un scarabée, pourquoi pas. . . “
  7. 2. “Deux lapins qui jouent. Ils se tiennent la main”.
  8. 8. “Cette partie-ci me fait penser à quelque chose qui tire, un animal peut-être, un oiseau. . . on voit ses pattes et on dirait qu’il emmène avec lui cette partie-ci. . . qui ressemble à un gros papillon. . . ce sont les pattes qui tiennent ce papillon”.
  9. 10. “Deux taches auxquelles sont rattachées certaines petites parties. . . “

“Deux cerises, on les voit souvent par deux, reliées“.

  1. 8. “Des insignes de ralliement“. Enquête: “En prenant tout, ça pourrait représenter le signe de ralliement, par exemple les amis des dinosaures. . “
  2. 2. “Des animaux qui ont des genres de trompes qui se rejoignent“.
  3. 1. “Un insecte qui prend la forme de l’arbre, de l’endroit où il se trouve. . . il se confond avec la nature”.

Dans la perspective que nous venons d’évoquer, nous terminons par quelques considérations sur le phénomène particulier “fusion figure-arrière-plan”(FFA), retrouvé dans 13 protocoles sur 20.

Selon la définition qu’en donne Ewald BOHM[8]:

“Dans la fusion figure-fond, la qualité de différence subjective de localisation selon laquelle la figure a tendance à apparaître localisée devant le fond est modifiée, en ce sens que le sujet forme, à partir d’une figure et d’une partie habituellement vécue comme fond, une nouvelle “superfigure” dans laquelle les parties figure et fond sont mises sur le même plan, et cette nouvelle figure est perçue détachée sur un nouveau fond. Dans cette nouvelle figure, figure et fond ne sont plus perçus l’une devant l’autre mais sont fusionnées dans un nouvel objet de perception. . . . Comme, pour l’essentiel, le rapport avant-arrière des parties intéressées par la réponse est atteint par le fusionnement et donc aboli, alors que l’habituel rapport figure-fond a cédé la place à un autre inhabituel, nous avons volontairement nommé ce phénomène “fusion figure-arrière-plan”(Figur-Hintergrund-Verschmelzung)“.

 

En voici quelques exemples:

  1. 3. (v)”Ça, ça me fait penser à un bustier. Voilà un noeud papillon avec une veste. . . on aurait commencé la tête mais on n’aurait pas terminé. . . et à côté, les taches rouges, ce sont des taches d’encre. . . “
  2. 2. (v)”De la lumière suspendue à un abat-jour. . . la forme blanche de l’abat-jour et la lumière qui en sort. . . “
  3. 2. (^)”Un visage là, les yeux rouges, puis les joues ici. . . voilà le menton et là la bouche”.
  4. 2. (v)”Oh!un clown, les yeux (rouge supérieur), le nez (Dbl central), les joues et enfin la bouche (rouge inférieur)”.
  5. 3. (^)”Une île volcanique dont il y aurait deux volcans à l’extérieur de l’île, en éruption, et deux volcans à l’intérieur avec des coulées de lave. . . “
  6. 2. (v)”On pourrait dire aussi un avion dans les nuages, avec ses feux arrière”.

Ainsi, dans son appréhension perceptive comme dans sa dynamique psychique, l’épileptique construirait une “nouvelle figure” où figure ( en tant que forme qui habituellement fait saillie, “surface définie qui se détache”, pour reprendre la définition d’Edgar RUBIN) et fond (“matériau qui n’a pas de forme et apparaît moins réel”, selon RUBIN encore) sont fusionnés.

 Bien d’autres signes mériteraient d’être commentés, qui sont repris dans le tableau de la planche ci-contre. Le seul intérêt de ce tableau est de montrer à quel point les phénomènes mentionnés sont fréquemment repérés dans les 20 protocoles.

 

Conclusion

 Notre recherche sur l’épilepsie essentielle a été aiguillonnée par le fait que, examinant les tests de Rorschach, TAT et Szondi de jeunes adultes normaux des deux sexes, nous avons eu la surprise d’y découvrir, plus souvent que nous ne l’attendions, une pluralité de signes associés à un certain climat, une certaine ambiance qui appelaient nécessairement les notions d’épileptoïdie et de paroxysmalité telles qu’elles ont été élaborées par, respectivement, Françoise MINKOWSKA et Léopold SZONDI.

Revenant aux protocoles de Rorschach et de Szondi de 20 épileptiques essentiels rassemblés par JEANGILLE, nous avons effectivement retrouvé, à quelques variantes près, chez tous les sujets sans exception, les tableaux classiques décrits par les auteurs précités.

En dehors de la thèse de MELON, aucune recherche n’a jamais été entreprise qui permettrait de jeter des ponts entre Szondi et Rorschach. Certes la pratique assidue des deux tests suggère de multiples rapprochements possibles voire plausibles mais faute de vérification statistique valable et de réflexion sérieuse, toutes ces impressions fugaces se réduisent en idées inconsistantes qui finissent par s’évanouir à l’horizon de nos mémoires cliniciennes.

A l’instar des “glischroïdes”, nous nous sommes “agrippée” à ce matériel, refusant de le lâcher tant que ne serait pas réalisé l’espoir non de tout “lier” et de vouloir “tout faire coller ensemble”, démarche contraire à l’esprit scientifique, mais de ressaisir ce qui dans tout tableau clinique, quel qu’il soit, fait structure et permet de comprendre voire d’expliquer ce qui fait que les choses tiennent ou vont effectivement ensemble (zusammenhangen).

Au point où nous en sommes de notre travail de vérification et de réflexion, nous pensons que c’est possible. Au moins pouvons-nous avancer une hypothèse générale qui nous semble féconde non seulement pour une meilleure compréhension de la dynamique épileptique mais encore pour l’éclairage mutuel du Rorschach et du Szondi, du Rorschach par le Szondi et réciproquement.

Commençons par le Szondi.

En négligeant quelques rares exceptions, nous pouvons brosser comme suit le tableau le plus communément rencontré chez l’épileptique essentiel:

Un fait notable est que l’arrière-plan redouble presque toujours l’avant-plan, signe de plasticité faible ou nulle, laissant présager une forte tendance à l’automatisme de répétition. La référence à la  théorie des circuits pulsionnels (Schotte) et aux fantasmes originaires (Mélon) autorise une ressaisie globale, à la fois structurale et dynamique, de cette conjoncture particulière.

Dans le tableau périodique, l’épileptique essentiel occupe massivement les positions premières, “contactuelles”, et troisièmes, “légalistes”, à l’exception des positions p – (dans notre échantillon) et d+. Pour ce qui concerne les positions deuxièmes , “narcissiques”, et quatrièmes, “subjectales”, seules sont investies les positions d- et p+. L’investissement conjugué des positions contactuelles et légalistes s’interprète au mieux dans le cadre de la seconde topique freudienne.

Dans “Le moi et le ça”, quand il introduit la notion de surmoi, FREUD insiste sur le faible écart originel entre le ça et le surmoi. Dans les deux cas on a affaire aux mêmes imagos parentales, positivées dans le cas du ça, négativées du côté du surmoi.

Ce qui paraît bien caractériser l’épileptique essentiel est la conjonction d’une pulsionnalité puissante liée à un ça bouillonnant et d’une censure sévère portée par un surmoi archaïque, cet alliage étant corrélatif d’un faible investissement narcissique, tant du côté du moi idéal (2) que de l’idéal du moi (4). Aussi l’épileptique paraît-il ballotté, comme beaucoup de psychanalystes l’ont noté, entre les deux fantasmes de  la régression intrautérine et de la scène primitive, confondant volontiers les deux scènes, dont il enrage (e -) littéralement d’être expulsé – c’est son fantasme de base – et dans lesquelles il fait répétitivement des rentrées fracassantes tout en condamnant (hy – ) l’expulsion et la rentrée comme également mortifères.

Plus que d’autres, affecté qu’il est par une fixation à des images parentales archaïques mal différenciées, l’homme paroxysmal  rêve de liberté, d’égalité et de fraternité.Car l’épileptique n’est pas seulement dans la régression fusionnelle. Il n’oblique vers celle-ci que défensivement. C’est en ce sens que  nous interprétons la pregnance de s+, position virtuellement individuante en tant qu’elle oriente la sexualité dans les voies de l’objectalité, mais ici biaisée par son alliage avec d – qui la ramène dans les eaux prégénitales et la fixe dans l’axe infernal du sado-masochisme.

L’absence de d+ rendrait compte de la faible tendance à investir ce qui a le goût du neuf. L’épileptique est fondamentalement conservateur.

Nous pensons que l’omniprésence de la réaction  e – même accentuée (!) ne suffit pas à expliquer la violence explosive. Il y faut selon nous l’ajout, lui aussi omniprésent, du doublet sadique s+! k- . En effet, dire que l’épileptique est soumis au joug d’un surmoi sadique ne suffit pas, il faut ajouter qu’il s’identifie aussi de manière immédiate à cette instance ,  ce qui rend compte de son caractère intraitable et intolérant, alternant avec son pôle contraire de philanthropie et de sacrifice confinant au  masochisme.

Nous avons noté que, paradoxalement, dans notre échantillon, la réaction p+ était quantitativement majoritaire. Cependant, de même qu’avorte la poussée s+ dirigée vers l’objet, la poussée inflative p+ ne paraît pas jouer son rôle moteur dans le sens de l’individuation différenciatrice (absence de  e+)  ni de la libération sublimatoire (absence de h-).

Comment le pourrait-elle quand l’attraction des positions premières se révèle si puissante?

Ce que le Rorschach fait apparaître et qui permet de conférer un contenu  plus spécifique et plus concret aux signes szondiens, c’est précisément l’extraordinaire adhésivité  de l’épileptique essentiel à la concrétude sensorielle.

Que l’épileptique “colle” (d – ) littéralement à l’univers des sensations (m+!) est ce qui impressionne le plus. C’est ce qui a induit Françoise MINKOWSKA à parler de glischroïdie. Il nous semble que les autres signes classiquement apparentés à la viscosité, le signe “lien”, les DG combinés, le phénomène FFA, les descriptions cinétiques etc. . .  , bien qu’ils participent manifestement de la tendance, méritent chacun une interprétation différenciée.

Il est habituel d’opposer la viscosité et l’explosivité;   mais l’explosivité elle-même doit être analysée. Pour nous, elle reste ambiguë. Sans doute est-elle fondamentalement liée à la rage (e -) renforcée de son alliage avec le sadisme (s+! k – ) mais les sources de la rage ne sont pas univoques. Tantôt la rage s’origine dans un fantasme d’enfermement persécutif (“On étouffe ici!Je veux sortir”), appelant l’agression (s+) séparatrice (m-, seulement repérable dans les périodes précritiques), tantôt elle paraît plutôt déclenchée par l’obligation tout aussi persécutrice de quitter le lit-nid (“Me jeter dehors ainsi!Non mais. . . “). D’où l’extrême ambivalence par rapport à la notion de liberté.

Que l’épileptique tombe dans l’angoisse chaque fois qu’il est en proie à la rage meurtrière (e – hy – ), ce qui est son lot habituel, et que, passé l’orage comitial, il s’efforce de réparer dare-dare ce monde que sa rage n’en finit pas de miner, tout cela est certain, mais la réparation dont il est question dans le signe “lien” et les autres phénomènes apparentés, cette réparation s’effectue dans le registre de la sensorialité retrouvée (d – m+), et d’un “toucher” (h+) qui a mission d’équilibrer la poussée agressive (s+!), mais non, sauf exception, au plan d’une élaboration dans le sens d’un positionnement éthique (e+) qui, à travers la “sortie de scène” qu’il effectue, fraie la voie qui mène à la position d’un  moi transcendantal (p+) – au sens kantien du terme -, point de départ d’une perlaboration infinie.

[1] GRUNBERGER B. Le Narcissisme. Payot, Paris, 1971, p. 343.

[2]FREUD S. (1928). Dostoievsi et le parricide. Trad. fr. in Résultats, idées, problèmes II. Paris, Presses Universitaires de France, 1985, pp. 161-179.

[3] STEKEL W. Zentralblatt für Psychoanalyse, 1911, I, Fascicules 5 et 6.

[4] VERGOTE A. Op. cit.

[5]GUEDENEY Colette. A propos de la première crise d’épilepsie dite essentielle. Rev. fr. de Psychanalyse, 1976, 40, 2, pp.  303-324.

[6] LEKEUCHE Ph.  Op. cit. p. 17.

[7] LEDER Alfred. Aufwachepilepsie. Hans Huber, Bern, 1969.

[8] BOHM E. Traité du Psychodiagnostic de Rorschach. Trad. fr. Masson, Paris, 1982, p. 176.

[9] RUBIN E. Visuell wahrgenommene Figuren. Gyldendal, Kopenhagen, 1921. Cité par BOHM, trad. fr. , pp. 176 et 413.

[10] MELON J. Figures du moi. Szondi, Rorschach et Freud. Thèse de doctorat en psychologie. Université de Liège, 1976.

[11] SCHOTTE J. Szondi avec Freud. De Boeck, Bruxelles, 1990.

[12]MELON J.  et LEKEUCHE Ph. Dialectique des pulsions. De Boeck, Bruxelles, 1990.