Biographie

Jacques Schotte, 1995
Szondi avec Freud (livre)
Vers l'anthropopsychiatrie (livre)
Psychiatrie et existance (livre)

Jacques Schotte est né le 26 juin 1928 à Gand, où il est décédé le 18 septembre 2007. Même si toute sa vie professionnelle s’est déroulée entre Gand et Louvain, il n’a cessé de parcourir l’Europe et d’autres pays en y multipliant les échanges et les rencontres avec les personnalités les plus diverses, tant son champ de curiosité était interdisciplinaire, alliant la médecine, la psychiatrie et la psychanalyse, mais aussi la littérature, la peinture (il était un grand collectionneur), le théâtre, et bien sûr le sport…
Jacques Schotte était un homme chaleureux, au contact agréable, d’une grande générosité intellectuelle, qualités qu’on retrouvait également dans sa vie privée. Lors de son avant-dernier séjour à Paris, en novembre 2006, une soirée avait été organisée pour fêter la sortie de son livre, Un parcours. Rencontrer, relier, dialoguer, partager. Et en dépit de ses graves problèmes de santé, nous l’avons retrouvé toujours aussi pétillant et plein de verve, intarissable dans l’évocation de ses souvenirs.
J. Schotte a eu le rare mérite d’être pleinement psychiatre, psychanalyste et philosophe. Il a marqué un grand nombre de psychiatres, de psychanalystes et de psychologues, par son enseignement extrêmement brillant, nourri de sa pratique et de sa connaissance profonde de Freud, enrichie de ses débats avec de grandes figures contemporaines. Lui-même en retient quatre principales dans sa formation et son évolution : Binswanger et Szondi qui jouèrent un grand rôle dans sa connaissance de Freud et ses recherches du côté de ce qu’il appelait une anthropopsychiatrie, Lacan à qui il reconnaît le mérite d’avoir suscité un «retour à Freud», même discuté, et Tosquelles du côté de la psychothérapie institutionnelle. Il précise toutefois qu’il n’a jamais «choisi une des orthodoxies possibles», mais que toutes ont constitué des occasions de questionnement fécond.

Fils d’un chirurgien de Gand où il a fait ses études, J. Schotte était titulaire d’un doctorat de médecine et d’une thèse en psychologie sur «Freud et la question du transfert», thèse soutenue en 1956 en flamand, restée inédite.
Il décide alors de devenir psychiatre et psychanalyste, avec le souci d’articuler la psychiatrie à l’anthropologie. Ses analystes zurichois ont été dans les années 1950 Gustav Bally, puis Médard Boss, imprégné par la philosophie de Heidegger, qu’il présenta à Lacan en 1954. Il découvre très tôt son attrait pour la philosophie durant ses études de médecine, tout comme Hippocrate, ce «philosophe médecin 1». Il a enseigné la psychologie clinique à Gand et à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, où il retrouvait son ami Antoine Vergote, qui avait entrepris à Paris une psychanalyse avec Lacan et avec lequel il fonda l’École belge de psychanalyse, proche de l’École freudienne. Lacan l’avait d’ailleurs nommé au directoire de l’École freudienne, pour représenter l’École belge. Lors de son séjour à Paris en 1955-1956, Schotte participa au séminaire de Lacan sur les psychoses.

Il s’est intéressé très tôt à l’École hongroise de psychanalyse, notamment à Léopold Szondi, replié à Zurich après la guerre, sur lequel il publie un livre, Szondi avec Freud, en 1990. La même année, il dirige un ouvrage collectif, Le contact, qui aborde cette question sur les plans théorique, clinique et esthétique.
De par sa culture philosophique et germanique, il avait également une grande affinité intellectuelle avec Heidegger, Husserl, H.G. Gadamer et surtout Ludwig Binswanger dont il se sentait très proche par sa culture très éclectique, son intérêt pour l’œuvre de Freud et sa rigueur de pensée.
Il parlait également quatre langues : le français, le flamand, l’anglais, et l’allemand, sans oublier sa connaissance approfondie du grec et du latin. Il évoque souvent sa curiosité et son goût pour les langues, qui l’amènent à dialoguer avec les plus grands linguistes et philologues et à entrecroiser ses différentes connaissances. Il raconte ainsi sa rencontre avec le philologue helléniste K. Reinhart qui lui apprit «à connaître dans toutes leurs résonances des vocables comme logos, phusis, pathos… à apprécier le véritable passage à un autre monde qui s’est tramé dans leur “traduction en latin”, en même temps que j’avais l’occasion d’approfondir de manière notoire ma connaissance de l’allemand… pour en comparer les mérites philosophiques avec ceux du grec 2».
Compatriote et proche de Maud Mannoni, il avait en France de nombreux collègues et amis : Françoise Dolto, Pierre Fédida, Jean Oury, Gisela Pankow et François Tosquelles, ainsi que les philosophes Henri Maldiney, Edmond Ortigues et Paul Ricœur.

Dès le départ, il avait accepté d’être membre d’honneur d’Espace analytique. De même, il était membre de l’Association internationale d’histoire de la psychanalyse (AIHP). Lors du congrès de l’AIHP sur l’histoire des scissions, à Berlin, en 1994, il fit une conférence improvisée en allemand sur Lacan.
Dans son Parcours, il raconte très subtilement ses échanges ou ses divergences avec Lacan dont il suivit le séminaire sur les psychoses durant son séjour à Paris, en 1955-1956. Lacan le consultait souvent en tant que « freudologue » au sujet de l’allemand freudien. Il évoque tout particulièrement le débat suscité par le
«fameux concept lacanien de forclusion». Et là, écrit-il, «ce fut une autre histoire». Il en fait un récit détaillé et piquant, qui reflète tout à fait sa connaissance et son goût de la langue, son sens de l’analyse, son humour et sa rigueur 3. Schotte ne cesse de dire l’importance de s’immerger dans l’œuvre même de Freud au lieu de se contenter d’en lire des extraits ou des commentaires, source d’erreurs et de dérives.

Jacques Schotte a toujours préféré la transmission orale à l’écriture, répétant à l’envi que la «parole vive» était son «médium principal». C’est précisément sous la forme d’un entretien avec l’un de ses plus proches collaborateurs, Jean-Marc Pollaer, qu’il a élaboré son ouvrage Parcours, où il retrace son itinéraire personnel et intellectuel, en se voyant plutôt dans la fonction du «chœur antique», comme relance de la parole échangée.
Ce parcours qu’il évoque dans son ouvrage n’est pas seulement un parcours personnel, mais l’itinéraire d’un témoin de cinquante années de psychiatrie et de psychanalyse en Europe. De par sa connaissance des langues, son goût des voyages et des échanges, il a accepté de se confronter à la psychiatrie, à la psychanalyse et à la philosophie européenne. Il était authentiquement européen, au sens de Thomas Mann et de Stefan Zweig. Il était aussi sensible à la prégnance de la langue dans les théorisations de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la phénoménologie.

Avec une «passion des rencontres et des contacts immédiats», il avait un souci permanent de dialoguer et faire dialoguer individus, doctrines et disciplines, de «relier même le disparate 4». Il se définissait volontiers comme un «médiateur», un «bâtisseur de ponts», avec un principal mot d’ordre : «ralentir, travaux 5», prendre le temps d’entendre les mots résonner et être à l’écoute de l’autre.

(Source : Jacques Sédat – dans : figures de la psychanalyse 2007/2 (n°16) pages 285-289)