Séminaire de Marc Ledoux - octobre 2016

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Marc Ledoux commente les textes de Freud sur le masochisme.

Transcription : Laurence Fanjoux-Cohen

Public : Marc, fais-nous le masochisme sans lire ce que tu as préparé !
Marc : oooh, …., non. Non, non, non. On continue sur la pulsion et on est à la fin de sa trilogie sur les pulsions, et on va introduire la pulsion de mort. Le problème économique du masochisme, je vous avais promis ça et c’est terriblement difficile. Demain, on parlera du vecteur sexuel que Szondi a travaillé avec le masochisme et que Freud a touché sans approfondir le lien entre le sexuel et le masochisme originaire et le paroxysme… donc la criminalité. Freud en a touché un mot et je vais essayer d’y revenir.
On commence.

Je vais le faire en trois parties :
-d’abord la scène masochiste qui s’inscrit dans la psychiatrie classique, dans le langage courant en allemand et dans la littérature et qui s’élargit dans le fantasme masochiste
-ensuite la morphologie masochiste, la mise en forme du masochisme érogène, du masochisme moral et du masochisme féminin
– et enfin les enjeux du masochisme et c’est là où Freud arrive avec toute cette dialectique de la pulsion de mort et l’intrication pulsionnelle

La scène masochiste :
Elle se constitue dans un dialogue avec Kraft-Ebing qui a écrit la psychopathie sexualiste où il impose, contre le terme courant algolachnie (la volupté dans la souffrance), la référence à un nom d’auteur, Leopold von Sacher-Masoch. Ainsi, ce Leopold Masoch voit son nom affecté d’un isme dans le chapitre 9 du manuel de psychopathie sexualiste : masochisme.
L’élève de Kraft-Ebing, Mole, remarque que le masochisme a existé de tout temps et retrouve la première description littéraire dans un souvenir d’enfance de Jean Jacques Rousseau que vous retrouvez dans son livre Confessions . Rousseau dit qu’il se souvient qu’à 3-4 ans, il trouvait un certain plaisir à recevoir des fessées de sa gouvernante. Et si vous trouvez ça trop lourd le masochisme, vous pouvez toujours vous reposer en lisant les Confessions de Jean Jacques Rousseau. C’est souvent repris quand on étudie le masochisme. Ce passage a été redécouvert par les psychiatres allemands, comme Mobius qui inscrit le masochisme dans le langage courant. « Il est maso celui-là pour supporter ça ! ». On le dit en français ! ou alors une façon d’être comme trouver son bien être dans la souffrance. Et c’est intéressant de voir à travers la lecture que Freud fait de Mobius, comment il va transformer la description que fait Kraft-Ebing. (Vous retrouvez d’ailleurs pleins de petits passages de son manuel dans plein de traductions de poche…)

Kraft Ebing dit que le masochisme est la direction de l’instinct sexuel vers le cercle de la représentation de la soumission à une autre personne et des mauvais traitements infligés par cette même personne. Chez Freud aussi, il sera toujours question d’une autre personne. Dans les trois essais, la dénomination masochiste comprend toutes les attitudes passives (s- chez Szondi) par rapport à la vie sexuelle et l’objet sexuel dont la plus extrême apparaît comme la liaison de la satisfaction à l’endurance d’une douleur physique ou psychique de l’objet sexuel. On appelle masochistes, ceux dont le plaisir unique est d’endurer de leur objet aimé toutes les humiliations et tourments sous une forme symbolique ou réelle.

Freud ne s’arrête pas à l’inventaire des perversions. Il découvre dans cette perversion bizarre, une énigme. Ferenczi parle d’un « maudit masochisme ». Lacan parle lui d’un « os ». Freud remonte jusqu’au cœur de l’énigme de la vie pulsionnelle dans Le problème économique du masochisme.
Un peu avant, en 1918, il avait découvert dans les coulisses de la scène masochiste la mise en scène du sujet en position d’objet humilié, fouetté, attaché, battu, maltraité, forcé à obéir, abaissé. Toute cette mise en scène théâtrale avec le sujet en position d’objet. Et ça, pour Lacan, c’était extraordinaire « ah, le sujet qui se fait objet ! ». C’est pour ça que je vous avais conseillé pour ce soir de lire ce texte extraordinaire Un enfant est battu. C’est là où on voit comment il arrive à construire la mise en forme d’un fantasme. Comment il arrive à nous faire participer à cette construction. Derrière le fantasme, il découvre la mise en place du destin pulsionnel au-delà du principe du plaisir : c’est la pulsion de mort.
C’est pour ça que j’aime bien cette thématique-là, c’est l’accent qu’il met sur toute la vie pulsionnelle. C’est vraiment au carrefour de toutes ces transformations.

Le fantasme masochiste : cette question vient chez Freud au moment où il se demande comment arrive la transformation du sadisme en masochisme. Quel est le moteur de cette transformation ? au début, il disait qu’il y a le sadisme, puis après le masochisme, ensuite il a complètement renversé les choses en disant qu’au départ il y a le masochisme, puis secondairement le sadisme. Jusque-là, le masochisme c’était le besoin d’être soi-même l’objet maltraité, c’est à dire le retournement du sadisme contre la personne propre, donc la régression de l’objet au moi. C’était tout simplement ça. A ce moment-là, le masochisme chez Freud n’est donc pas une expression pulsionnelle primaire. Chez Szondi, sa théorie est une théorie pulsionnelle. Ses schémas sont des schémas pulsionnels. Jusque-là, la passivité n’est pas encore le tout, (quand on a un s- qui s’accentue, s- !!, on est complètement dans la passivité) il y a encore le caractère de déplaisir dans une réalisation pulsionnelle, ce caractère de déplaisir qui est si étonnant pour Freud.

Donc, le moteur de la transformation du sadisme en masochisme se passe sous l’influence de la conscience de culpabilité qui participe à l’acte de refoulement et qui nous fait comprendre le fantasme masochiste. Ouuuuiiiiii ! (Rires) l’emblème en est l’identification du masochiste au petit enfant coupable. Freud reste toute sa vie au mythe de l’enfant. Szondi, c’est le mythe ancestral, Freud, c’est le mythe de l’enfance. Tout le temps, et là aussi. Quand il essaye de construire le fantasme masochiste, il va prendre le modèle de l’enfant méchant. Le petit enfant méchant, le petit enfant coupable, en position d’acteur. Avec deux conséquences : d’une part un fantasme mis en jeu à travers ce héros qui est le moi et d’autre part, il y a un trait masochiste déterminant dans le fantasme lui-même. Et ça, c’est extraordinaire. Dans le fantasme, il y a une dimension masochiste. Sinon, il n’y a pas de fantasme. Et Szondi dit « si le fantasme masochiste est paradigmatique, c’est qu’il révèle le fond masochiste du fantasme en tant que tel ». C’est dans la deuxième et la troisième position que cela va se faire, là où il y a une élaboration du fantasme possible. Dans la perversion agie, dans la névrose élaborée. Freud le trouve dans le rêve, dans le symptôme et dans le fantasme.

Dans le rêve, il donne des exemples de ce fond masochiste du fantasme dans Le délire et les rêves dans le roman Gradiva.

Dans le symptôme c’est dans l’homme aux loups. Lacan va revenir souvent à l’homme aux loups, car celui-ci va élaborer une doctrine théologique et pour Lacan c’est très important : le masochiste défie le désir de l’autre pour le transformer en angoisse de l’autre. -… alors, Dieu! ça te fait quelque chose mes supplices ?…- L’homme aux loups traduit l’élaboration d’une théologie pulsionnelle d’inspiration masochiste fondée sur un rapport de soumission au père, séquelle de la scène originaire. Chez le petit, demeure dominante l’attitude passive précoce. Ainsi, se transforme-t-il en enfant méchant envers le papa à qui il adresse des intentions masochistes. Il voulait, dit Freud, par l’exécution de sa méchanceté extorquer des punitions et des coups.
Ce serait bien quand on s’occupe des petits qu’on se souvienne de ça, quand même ! que l’enfant provoque pour satisfaire cette dimension masochiste. Il y a un appel, dit Freud, du côté de l’enfant méchant. A l’origine de la stratégie masochiste, on trouve une véritable tentative de séduction du père. Ainsi l’enfant devient méchant pour extorquer au père la satisfaction désirée. Comment ? par des cris ? par des cris agressifs ! aaaaaah ! aaaaaah !
Public : rires
Marc : Ces accès de cris étaient précisément des tentatives de séduction pour déclencher la punition. L’abandon… c’est programmé maintenant…. Laisse-le pleurer, hein !… La punition accomplie la satisfaction de son sentiment de culpabilité, son sentiment d’être en faute. Un détail le confirme dans l’homme aux loups. Celui-ci conservait le souvenir de comment il renforçait ses cris dès que son père venait à lui. Le cri confirme donc bien sa fonction d’appel, dit Freud. Mais, il n’est pas qu’appel ou dépendance. Ce cri apparaît comme une stratégie agressive tendant à déclencher la réplique violente de l’autre. Allez !… un valium… dose bébé… hop !… en l’occurrence le père ne cédant pas à la provocation, ne le frappe pas, mais cherche à l’apaiser en jouant avec lui à la balle avec les coussins du petit lit. Je ne sais pas si vous connaissez ce passage. Freud, là il ne peut pas s’empêcher de … mais c’est pour plaire à sa fille, hein ! Anna Freud et son texte de cette petite fille… dont le père disait qu’il souffrait de ses cris d’agressivité… c’est le premier grand texte d’Anna Freud pour approfondir ce passage de l’Homme aux loups. Et Freud, à ce moment-là… va savoir la relation qu’il a avec sa fille…, il va donner des conseils éducatifs : l’enfant qui se comporte de façon si sauvage fait un aveu et veut provoquer la punition. Il cherche en même temps l’allègement de sa conscience de culpabilité et la satisfaction de sa tendance sexuelle masochiste. Cela ne veut pas dire qu’à chaque fois qu’un enfant crie, on est là-dedans, mais quand même… on oublie souvent ce que dit Freud. Souvent les parents sont surpris qu’on ouvre cette piste de la culpabilité.

Donc, la scène masochiste dans le rêve, dans la scène masochiste de l’homme aux loups et dans ce superbe texte de Freud, Un enfant est battu. Dans une lettre de Ernst Jones à Freud, datée du 31 décembre 1913, (le 31 décembre… je l’imagine travaillant le matin, non ?) Jones demande d’où viennent les fantasmes de algolachnie, de la volupté de souffrir. D’où vient le plaisir qui vient rencontrer le trauma désagréable ? d’où vient le plaisir qui est lié à la peur de la castration ? la réponse arrive en 1919, soit 6 ans plus tard avec le texte Un enfant est battu. C’est bien dans le travail du fantasme que le noyau masochiste trouve sa pleine activité notamment dans sa seconde phase dont le contenu est « être battu par le père ». Le centre du fantasme reconstruit par l’analyse, par un démontage en amont, est appelé par Freud : l’amour du père à l’épreuve de la conscience de culpabilité. Non ! … il ne t’aime pas car il te frappe. Le fantasme est devenu masochiste. Mais Freud dit : la conscience de culpabilité n’occupe pas seule le champ. La notion d’amour doit y avoir aussi sa part. le fait d’être frappé par le père est la rencontre de la conscience de culpabilité et érotique. Le masochisme prend sa portée sous l’effet la régression sadique anale où être battu = être aimé. Dimension d’un amour violent qui ouvre du même coup la dimension du féminin. Et c’est ce qui éclaire, dit-il, le jeu complexe entre demande d’amour et soumission dans la structure du fantasme. D’une part, il bat l’autre enfant, donc il m’aime, d’autre part, la preuve qu’il m’aime, c’est qu’il me bat. C’est que je suis son préféré.
Donc, il lie la culpabilité avec la demande d’amour. Voilà.

La mise en forme des dimensions masochistes :
C’est là où on glisse directement vers Le problème économique… pour moi, c’est émouvant, je dis ça entre nous, en même temps, c’est quelque chose qu’on discutait souvent avec mon papa Oury. Il aimait beaucoup ce texte Le problème économique… et le masochisme comme noyau de la pulsion de mort. Il m’a demandé de lui traduire le texte allemand en français. Ce que j’ai fait. Et donc, c’est émouvant dimanche dernier quand je l’ai préparé et je l’ai fait avec beaucoup de plaisir en même temps.

Il a trois formes phénoménales, phénomène dans le sens de qui apparaît. Phénoménon. D’abord, le masochisme apparaît comme condition d’une excitation sexuelle. Par le plaisir de la douleur. Freud appelle ça le masochisme érogène.
Deuxième forme qui apparaît : le masochisme comme l’expression de l’essence féminine, ce qu’il appelle le masochisme féminin.
Et la troisième forme comme norme de comportement de vie ce qu’il appelle le masochisme moral.
Ce n’est pas seulement un inventaire, mais une sorte de symétrie qualitative : la condition, l’expression et la norme.

Le masochisme érogène, c’est le plus visible, c’est la perversion sexuelle, la perversion masochiste avec le sexuel comme moteur. C’est cette dimension là qu’il a développé dans Les trois essais avec le sujet en position d’objet ou l’autre dans la position extérieure.
Le masochisme féminin, l’expression de l’essence féminine, c’est le masochisme le plus fondamental car il vise la différence sexuelle autour de la castration.
Et le masochisme le plus important car il a à voir avec la norme, le comportement dans la vie, c’est le masochisme moral. Le drame moral lié au moteur de la culpabilité. Il reprend ce qu’il avait déjà trouvé dans la transformation du sadisme en masochisme sous la conscience de culpabilité, il le reprend pour condenser dans le masochisme moral.

Et Freud propose dans Le problème économique du masochisme une lecture généalogique de ces trois dimensions qualitatives. Il dit : partons de la forme la plus éloignée du masochisme pervers, partons du masochisme moral, ce comportement de la plupart d’entre nous dans la vie quotidienne. Partons de là. Ce masochisme moral nous ramène à la question du masculin et du féminin et cela nous permet de dégager les enjeux de la perversion masochiste et de mesurer les hypothèses du masochisme originaire. Il propose cette lecture comme un processus. Et c’est surtout ça que Szondi a accentué dans le s- s+ pris dans le h+-, pris dans la demande d’amour, dans l’érotisme.

Donc, le masochisme moral. Les masos dans le langage populaire. Des sujets qui aiment souffrir au point de se nuire. Il se questionne : il doit y avoir un sens à ce comportement. Qu’est-ce qu’on peut dire de ça ? tandis que le sujet dont la culpabilité se soumet au surmoi cruel et le ressent comme tel, le moi du masochiste moral active sa soumission. Il ne se soumet pas seulement. Il active sa soumission. Ce qui témoigne de ce masochisme moral, ce sont les effets dans la vie quotidienne. Comment la culpabilité peut-elle devenir une norme de comportement de vie au point que les sujets éveillent par leur comportement, dans la cure comme dans la vie, l’impression qu’ils seraient sous la domination d’une conscience particulièrement sensible, de sorte que rien de cette surmorale ne leur soit consciente. Ils ont l’impression qu’il n’y a jamais rien qui marche. Ils ne l’éprouvent pas autrement que par les épreuves.
C’est très intéressant cette découverte de Freud du masochisme moral. C’est un coup de génie ! encore un ! pourquoi ? c’est le seul moyen qu’il a eu pour enfin, couper le masochisme de l’objet aimé. Il rompt par la découverte de ce masochisme moral les liens visibles avec la problématique sexuelle, il rompt les liens avec la référence à l’objet aimé. Et quand on parle de masochisme et de sadisme, on est tout le temps avec ce préjugé de l’objet aimé, à une référence sexuelle. Non ! le masochiste moral recrute les agents de ses échecs dans le monde sans préjuger. Il se place sous les coups du destin. Il s’offre à Dieu. Le texte par excellence, c’est Job, c’est l’exemple absolu. Il s’offre âme et corps au service de la moira.
Tandis que le masochiste pervers joue la culpabilité cartes sur table, le masochiste moral pratique sa culpabilité inconsciente en toute innocence. Plus il se comporte comme coupable, plus il plaide non coupable. Ce qui vaut pour la vie, cela se révèle dans la cure analytique comme réaction thérapeutique négative, c’est à dire, je cite : une satisfaction de ce sentiment de faute qui s’oppose vigoureusement à la guérison et se cabre contre celle-ci.
Dans la névrose, le symptôme prend la forme du masochisme moral. Ne pas vouloir aller mieux. Et là, il y a une phrase de Freud, superbe : à quoi se reconnaît au fond le signe clinique de ce masochisme mystérieux ? à la … (rires) gewissen bissen !… la morsure de conscience ! aaah ! gewissen bissen. Mais où est la marque d’une morsure de conscience ? à quels effets la juge-t-on ?
Laurence : la mauvaise conscience ?
Marc : non !
Sylvia : dans la pomme !
Marc : non ! tomber dans le malheur d’un mariage malheureux !!!! sombrer dans la banqueroute financière ! être livré à une maladie grave.
Michel : sadique !
Public : rires
Marc : on a les trois morsures : l’amour, l’argent et la maladie.
Et donc il commente avec cette petite phrase sur le mariage malheureux : Le masochisme moral se pratique à deux. Unis pour le pire sous un lien sadomasochiste qui rend inséparables de cet autre secrètement élu pour administrer souffrance et tourments à perpétuité. Ne fais pas de thérapie familiale pour dire allez va prendre des distances, c’est n’importe quoi. Non ! quand on est pris dans un masochisme moral, ce n’est pas possible. Et cela en dit beaucoup sur la pulsion de mort comme gardienne de vie. Ils ne risquent pas grand-chose quand ils se font des scénarios sans cesse, ce n’est pas grave, mais quand ils se séparent, alors là… on risque des choses graves ! et là, c’est la pulsion de mort à ciel ouvert. Paf ! Il était fort Sigmund.
Pour la banqueroute financière, il pense à Dostoïevski. Il n’y avait pas de jeux par internet à l’époque de Sigmund. Et il était trop phobique pour aller dans les casinos. Les coups de poker par lesquels le joueur engage sa fortune (il parle là de Dostoïevski), ce qui en fait régulièrement un homme ruiné à la bourse de la vie, sauf à rencontrer dans la figure de l’huissier, l’agent exécutif du destin. C’est une phrase szondienne ça ! le choix professionnel… ce n’est pas évident ce métier… et quand l’huissier fait s+, il devient agent exécutif du destin. Du hasard.
Et pour la troisième morsure de la conscience : les forme de maladies du malheur. Pour Von Weizsäcker, c’était important de dire que les maladies n’arrivent pas comme ça. La psychogenèse et la maladie qui est une mise en forme du drame de la vie de quelqu’un. Une angine, cela ne tombe pas par hasard.
Toux dans le public
Rires
Marc : cette pratique du désastre, dit Freud, a comme corrélatif subjectif une position caractérielle. Il prend ça de Reich. (Tout n’était pas bête chez Reich) : La vocation masochiste adulte s’annonce par cette volonté de se rendre insupportable (l’affreux jojo ) en s’attirant par la méchanceté l’impopularité et le châtiment. L’affreux jojo. C’est là, dit Freud, qu’on trouve la dimension du ravage qui est beaucoup plus large que ce qu’on appelle classiquement la névrose d’échec. La dimension du ravage. Je cite : pour provoquer la punition, le masochiste doit faire l’inutile, travailler contre son propre avantage, détruire les perspectives qui s’ouvrent dans le monde et éventuellement détruire sa propre existence réelle.
Le sujet masochiste, et il revient sur ce qu’on avait déjà étudié quand on a fait les pulsions et qu’on a travaillé sur les formes réflexives, vous vous rappelez ? non, vous dormiez ! le sujet masochiste se met en position de se faire avoir. Par l’autre. Du fait de se faire avoir, il réalise un plaisir inconnu mais en même temps il se retrouve exclu de trouver du plaisir dans le monde. Il se fait avoir.
Et pour Freud, c’est le noyau du masochisme moral : se faire avoir. Et pour szondi, c’est très important parce que cela donne la forme à avoir, et le verbe avoir k+. S-k+ : c’est vraiment le signe du masochisme féminin, mais ça on en parlera demain. Se faire avoir : s-k+

Le masochisme érogène, je vais être bref, il l’appelle le corps masochique. C’est trop cruel ça ! L’excitation sexuelle manifeste l’enracinement somatique de la pulsion, concept limite entre psyché et soma, c’est cette limite que le masochiste ne cesse de travailler dans le corps et à quel prix ! c’est là que le masochisme pervers prend son sens propre.
Michel : je ne comprends pas ce que cela veut dire.
Marc : L’excitation sexuelle manifeste l’enracinement somatique de la pulsion, concept limite entre psyché et soma… la source de la pulsion c’est l’excitation sexuelle, tout simplement, et la définition de la pulsion c’est aussi concept limite du psyché-soma. Et il dit que le masochiste travaille cette limite, cette douleur dans le corps, cette douleur psychique, cette douleur physique, etc… c’est là que le masochisme érogène pervers prend son sens propre. Erogène pervers !
Le masochisme érogène sexuel participe à toutes les phases de développement de la libido et leur emprunte le revêtement psychique. Il vient frapper toutes les touches du clavier libidinal oral, anal phallique, sauf les yeux ! il convoque par les différentes formes de réflexivité passive, se faire manger, se faire battre, se faire coïter, Il convoque toutes la gamme des pulsions partielles et de leur relai corporel. Il dit que l’analité en constitue le sommet. Le goût de la fessée ! quand il parle de l’enfant coupable, méchant, il donne pleins d’exemples dans l’homme aux loups, dans le petit Hans où l’enfant va provoquer le papa pour recevoir des fessées. Dans le rituel moi-merde, pour la fête du père noël, mais pour nous c’est la saint Nicolas et la saint Martin, on doit aller dans une grande salle où il y a les enfants, le curé, le maitre d’école et les parents sont là et il y a saint Nicolas qui arrive avec qui ? le père Fouettard ! et quand on est pas bien, il tape sur les fesses de l’enfant devant tout le monde qui est présent dans la salle. Sur les fesses ! pas sur les joues ! donc Sigmund avait raison. L’analité au sommet de ce clavier libidinal. Avec des revêtements psychiques changeants. Parce que là, quand on reçoit une fessée publique, c’est un trauma à vie ! je comprends que ce n’est pas évident après d’aller se faire bronzer les fesses à la plage….
Public : … ! rires !
Marc : L’analité au sommet de ce clavier libidinal ! la description freudienne nous donne une vision sur l’usage du corps (cela ne vous dit rien le texte de Foucault sur l’usage du corps ?) dans la perversion masochiste sous forme du corps excité et du corps supplicié au centre de la mise en scène masochiste.
Sylvia : pourquoi tu as dit « sauf les yeux ? »
Marc : les yeux restent intacts parce que c’est une mise en scène, il faut un spectacle, il faut un spectateur. Il faut regarder !
Quel est l’affect éprouvé de douleur qui fait du masochiste un acte du corps ? exemple terrible quotidien ! quand on travaille avec les petits ! l’automutilation fait jouer des endorphines qui viennent anesthésier la douleur et qui vont permettre au sujet par un comble de paradoxe de stimuler et de sentir enfin un corps qui était réfrigéré et délibidinalisé. Et c’est très toxique ! c’est le coup de génie de Szondi de pouvoir penser un symptôme, un comportement dans le rapport entre tous les registres. Ça joue les endorphines ! et demain si vous voulez, je vous ai apporté un profil de quelqu’un qui ne pouvait pas arrêter de s’automutiler. Et qui ne pouvait pas arrêter de se shooter à … l’insuline. Et le couple était un couple masochiste moral absolu. Et donc, si ça vous intéresse, je vous ai apporté son profil.

Une troisième caractéristique du masochisme érogène : le corps, le soma est toujours travaillé par le masochisme. Le maléfice infligé au corps vaut comme bénéfice dans l’économie inconsciente du symptôme. Et il donne un exemple magnifique dans l’Analyse finie et infinie : pour ceux que cela intéresse, c’est un texte qui n’est pas souvent commenté, en tout cas pas chez nous à Louvain. J’ai rarement rencontré un groupe de travail sur ce texte-là. Je cite : quand Freud décrit les avatars de cette hystérique guérie ou en longue rémission affectée d’un myome et retrouvant les chemins de la maladie après s’être relevée de la table d’opération, ce que Freud devine à l’œuvre ce sont les fantasmes masochistes de transformation effrayantes dans son intérieur à l’aide desquels elle voilât son roman d’amour avec le chirurgien. La passion ici se noue de la femme opérée avec l’opérateur. A ces fantasmes elle ‘s’adonnât’ en une véritable orgie masochique. Le masochiste institue l’autre en opérateur de son fantasme. Le chirurgien, opérateur de la machine corporelle, se prête électivement à un tel rôle.
Je trouve cela superbe.

Je cite Lacan dans Propos directif sur un congrès de la sexualité féminine : Peut-on se fier à ce que la perversion masochiste doit à l’invention masculine pour conclure que le masochisme de la femme est un fantasme du désir de l’homme ? et le commentaire sur ce paradoxe autour du sexe du masochisme : Freud illustre le masochisme féminin comme l’essence féminine par une clinique des cas de masochisme d’homme. Et après plusieurs variations, il arrive à dire que la mise en scène masochiste fait jouer la question des places, des rôles ! qui fait l’homme ? qui fait la femme ? et pour le masochiste, ne fais pas l’enfant, affreux jojo, enfant coupable, enfant méchant ! et dans le même sens, fais la femme. Dans le triple rôle, dit-il, de l’être castré, de l’être coïté et de l’accouchée. Cette passivité transcendantale. Sachant que ce lieu du féminin n’est autre que fantasmatique, le masochiste le fabrique de la façon la plus troublante. C’est bien dans la castration que cette superposition en strates de l’infantile et du féminin trouvera plus tard son élucidation simple. Ne fais pas l’enfant ! il fait la femme. C’est là-dessus que le masochiste fait buter. Paradoxe du consentement passionné au féminin. La femme qui accouche fait l’expérience physique d’une passivation transcendantale indescriptible, possédée qu’elle est par le processus d’expulsion de cet être autre qu’est l’enfant au bout d’un travail et des contractions. C’est cette place qu’envie le masochiste.

Les enjeux masochistes : les destins pulsionnels du masochisme. Alors, c’est ça le plus important.
Dans une note dans Les trois essais, il dit avoir changé de façon étendue son jugement sur le masochisme en rapport avec ses idées sur l’appareil psychique et les espèces de pulsion qui s’y appuient. Cela le poursuit tout le temps. Si je réfléchis sur le masochisme, cela n’est pas sans conséquence sur la façon dont je pense l’appareil psychique. Et sur la théorie des pulsions. Ce qui ressort de cette modification du jugement c’est le masochisme primaire ou originaire. Cela dépasse, dit-il, de loin le point de vue d’une psychologie inconsciente du masochisme. Pour le penser en termes d’affrontement pulsionnel fondamental. Et le masochisme primaire ou originaire apparaît au cours de la partie sur la pulsion de mort lors de la mise à jour de l’au-delà du principe du plaisir. Je cite : le masochisme, le retournement de la pulsion contre le moi serait un retour à une phase précoce, à une régression. Le masochisme pourrait être ainsi un masochisme primaire. C’est un retour temporel. Cette rectification magnifique, avant il disait que le masochisme était un retournement du sadisme contre le moi, maintenant il parle de retournement de la pulsion contre le moi porte sur la temporalité, la pulsion retourne vers son origine, masochisme originaire, ou plutôt trahit une phase antérieure.
Si l’on veut prendre son parti d’une certaine imprécision, on peut dire que la pulsion de mort agissant dans l’organisme – le sadisme originaire- est identique au masochisme. C’est incroyable comment il peut dire ça ! c’est incroyable. C’est peut-être une des phrases les plus grandioses de Freud. Il dit ça avec beaucoup de simplicité et avec beaucoup d’audace et de … je ne sais pas bien… alors serait-il indifférent de placer l’originaire sur la dénomination sadisme et masochisme ? je ne peux pas répondre nous dit-il. Je vais essayer de suivre les avatars de la pulsion de mort.

Après que sa partie principale (de la pulsion de mort) ait été déplacée vers l’extérieur sur les objets (sinon le moi ne pourrait jamais vivre), demeure, comme son résidu dans l’intérieur, le masochisme proprement dit, érogène, (c’est à dire le masochisme primaire) qui d’un côté est devenu une composante de la libido, de l’autre a encore toujours pour objet l’être propre. Le masochisme est le reliquat interne, stase de la pulsion de mort. Il est ce résidu. Bien sûr que Lacan adore ça. Il a très bien lu Freud. Magnifique ! le masochisme originaire est dans la place comme représentant de cette étrange pulsion qui s’occupe à la destruction de sa propre demeure, soit la pulsion de mort. Le masochisme est une façon de maintenir la destructivité à l’intérieur et de la lier avec des pulsions érotiques. Donc, l’intrication pulsionnelle ! le mélange de la pulsion de mort et de la pulsion de vie. De l’éros et de l’agression. Le masochisme est une façon de maintenir (maintenir, tenir, donc la première position dans le contact. Il n’est pas question de lier dans le contactuel, dans la psychopathie, etc…) – la destructivité à l’intérieur et de la lier avec des pulsions érotiques. Tenir ! C’est tout le génie de Freud qui dit que ce qui détruit tient. On ne meurt pas ! La pulsion de mort n’est pas quelque chose de tranquille. Dommage Dolto. Tant pis ! Ce n’est pas tranquille. C’est destructeur. Mais ça maintient la vie. Et ça c’est très fort. Le masochisme est une façon de maintenir la destructivité à l’intérieur et de la lier avec des pulsions érotiques au point que le saboteur apparaît comme gardien de vie. C’est l’argument majeur pour penser l’intrication pulsionnelle. Qu’il a découvert à la fin. C’est vraiment après dans Au-delà du principe du plaisir qu’il va découvrir l’intrication pulsionnelle.
Pour le coup, le masochisme en sa dimension économique et dynamique est introduit au sommet de l’édifice métapsychologique comme originaire. Et c’est cette dimension-là qui intéressait beaucoup Oury dans Le problème économique du masochisme. Comment c’est possible que le masochisme se trouve à l’origine de la métapsychologie? C’est lui qui interroge la dialectique entre sadisme et masochisme. Et il y a, dit-il, dans Malaise et civilisation, il y a dans le sadisme un alliage particulièrement fort de la tendance de l’amour avec la pulsion de destruction comme dans son contraire, dans le masochisme une liaison de la destruction dirigée vers l’intérieur avec la sexualité par laquelle la tendance, autrement imperceptible, devient frappante et sensible. En d’autres termes, nous pensons que dans le sadisme et le masochisme, nous avons devant nous deux excellents exemples de mélanges de deux sortes de pulsions, de l’éros avec l’agression.
Il a écrit ça au moment où Adler lui a dit qu’il en avait ras le bol de la pulsion de vie et de la pulsion de mort, quand il affirme qu’il y a une tendance agressive masculine et une féminine. Et Freud a répondu qu’il en avait marre de sa virilité et sa féminité et il dit qu’il impose une pulsion d’agression. C’est dans ce contexte, en discutant avec Adler, qu’il invente ça. Donc nous avons devant nous deux excellents exemples de mélanges de deux sortes de pulsions, de l’éros avec l’agression et nous faisons l’hypothèse que cette relation est exemplaire, que toutes les motions pulsionnelles que nous avons étudiées consistent en de tels mélanges ou alliages de deux sortes de pulsions.
Là, il conclue sur le masochisme : la véritable particularité de la vie pulsionnelle du masochiste est que la culpabilité devient chargeur libidinal et que la libido fonctionne grâce aux batteries de la culpabilité. J’aime beaucoup cette phrase ! et si vous comparez avec ce qu’il disait au début avec l’enfant méchant et l’enfant coupable, il n’y avait pas de notion de ce mélange pulsionnel. Erotisme torride de la culpabilité qui en fait une machine au fonctionnement le plus déroutant mais aussi la plus apte à illustrer le double circuit intégré d’éros et de thanatos. Le masochisme est un jeu étrange via le plaisir et le déplaisir avec la vie et la mort. Il est le tricheur du jeu pulsionnel mais qui de tricher avec l’autre, maintient le sujet vivant sous les coups au cœur-même de la déliaison mortifère.
Szondi dit que le masochiste est le champion du double jeu. On ne peut pas penser le s- ! sans k ni h+, mais on ne peut pas approfondir sans le double jeu avec s+. C’est le champion du double jeu pour maintenir dans la destruction la vie. Le masochisme primaire assure la résistance moïque ainsi que la fécondité pour une clinique des situations limites suicidaires où le recours au masochisme s’avère salutaire. Celui qui est pris par des contraintes suicidaires, il ne faut pas l’encourager à s’en sortir, -allez, un peu, faites-vous hospitaliser, un peu de sécurité… !- non ! non ! les deux ! que le masochiste ait la possibilité de cette mise en scène car cela va le maintenir en vie. Sinon, le paroxysme va gagner. La cruauté va gagner ! Et on va rester avec l’énigme du suicide, de la mort. On doit laisser ouverte, voire béante la question. Comment la déliaison pulsionnelle peut-elle être au service du moi ou au service de la catastrophe ? comment la mystérieuse tendance masochiste du moi peut-elle travailler à sa destruction ou à sa survie ? il y a un type, et ce n’est pas mal, Benno Rosenberg, qui a fait un livre sur le masochisme : masochisme mortifère et masochisme gardien de vie. C’est vraiment une lecture très forte de Freud et il finit par : est-ce que cette partie mystérieuse du moi fait la part entre un bon et un mauvais masochisme ? le bon masochisme serait le gardien de la vie –je prends tous les coups mais cela me maintient en vie- et le mauvais masochisme qu’il appelle le masochisme mortifère. C’est se tenir quitte, je pense, avec cet être étrange, duplice, qui mêle vie et mort, déliaison et érotisme. Faire la part entre le bon et le mauvais, c’est comme dit Lacan, éviter de se confronter à l’os de la jouissance.

J’ai préparé deux pages sur Lacan, je peux les faire ?? Michel, je peux les faire ?

Michel : …oui…
Marc : j’y vais !… Le sens le plus nouveau dans Au-delà du principe de plaisir, consiste à prêter au forçage de sa barrière traditionnelle du côté d’une jouissance dont l’être alors s’épingle du masochisme, voire s’ouvre sur la pulsion de mort. C’est cette quête qui exige le « se fait objet ». Dans le séminaire sur l’angoisse, il dit : se reconnaître comme objet de son désir est toujours masochiste. Echo à l’idée de Freud que le résidu de la pulsion de mort demeure à l’intérieur ayant ses propres essences comme objet. C’est ce qui fait du masochiste un maître de l’objet. C’est ce que sa vocation d’esclave dissimule.
Dans l’envers de la psychanalyse, p 83, une fois qu’on y entre, on ne sait pas jusqu’où ça va. Ça commence par la chatouille et ça finit par la flambée des sens. Et moi je suis content parce que je comprends ces textes!
Public : rires
Marc : N’est-ce pas cela même qui fait l’expérimentation de la jouissance. Volonté de s’engager dans ce tunnel corporel à partir de l’excitation, la chatouille, qui va jusqu’à la limite du supplice.
C’est beaucoup plus direct, plus concret, plus quotidien chez Lacan, que chez Freud où il y a encore tout cet arrière-plan mécanique, physiologique, etc etc… là, simplement, magnifique : Volonté de s’engager dans ce tunnel corporel à partir de l’excitation, la chatouille, qui va jusqu’à la limite du supplice. Le corps excité et le corps supplicié. Cela suppose de laisser s’enflammer le corps une fois le frayage produit, on ne sait prévoir jusqu’où cela va aller. La jouissance est le jeu du corps qui tourne mal.
Et après il suit une sorte de phénoménologie magnifique sur le chatouillement : le chatouillement est littéralement cet attouchement léger. Ça va de l’agrément de la caresse au picotement désagréable. Cela décide précocement du rapport corporel à l’autre. Ainsi de ces enfants qui craignent les chatouilles. Le chatouillement pose la question de la sensibilité à l’autre. Et là, il y a une phrase que je trouve superbe : chatouiller, c’est éveiller l’altérité celée dans le corps propre. Ooooh !
Public : celée ?
Michel : cachée.
Marc : le masochiste est sans doute un enfant chatouilleux. Ce n’est plus seulement l’enfant coupable, ce n’est plus seulement l’enfant méchant, c’est l’enfant chatouilleux qui recherche le retour de ce chatouillis par la mise en scène de jeux interdits et réglementés. Du sadomasochisme Lacan souligne le formalisme stéréotypique et cérémonial de l’agressivité qui s’y manifeste. Et le sujet se livre à vil prix. Pourquoi ? parce qu’il recueille un gain considérable. La fonction du masochisme apparaît clairement quand le désir et la loi se lient car le masochiste tend à faire apparaître (Lacan va commenter L’homme aux loups, Job et la passion du Christ) quelque chose sur sa petite scène dans laquelle le désir de l’Autre devient loi. Tandis que le masochiste apparaît dans cette fonction que je nommerai celle du déchet de ce qui est cet objet le nôtre, le a. Notre objet est à reconnaître dans cette fonction que le sujet endosse dans le masochisme. Le voilà, celui-là, en chair et en os sous forme du corps masochiste, le culot monstre du masochiste est de se déguiser en objet a. C’est donc un sujet déguisé en objet. Il s’inscarne comme objet sur sa petite scène de cette loi qui est le désir de l’autre. Mais, ce culot de monstre, le Christ, il a du culot, comme Job ; Job n’est pas un mélancolique, il est en rage, il fait des ravages. Cela révèle l’envers de la scène masochiste, il tourne la scène.
Le but du masochiste n’est pas la jouissance de l’autre mais l’angoisse de l’autre. C’est dans le séminaire sur l’angoisse. Alors, papa Dieu, Dieu le père, ptttt ptttt ! hein ? allez, je vais laisser tomber des gouttes de sang ? tu fais toujours la loi dans ton ciel ? allez ! encore un peu plus ? allez tu auras la tremblote !
Public : rires
Marc : l’angoisse de l’autre qui fait apparaître la question du sacrifice. Je répète la phrase : Cela révèle l’envers de la scène masochiste, il tourne la scène. Le but du masochiste n’est pas la jouissance de l’autre mais l’angoisse de l’autre. C’est à dire que cette angoisse, c’est l’angoisse de Dieu. Le masochiste comme martyr. Etymologiquement, cela veut dire témoin. Il vient témoigner de l’angoisse de l’autre.
Là, j’étais vraiment pris par Lacan, pris ! et j’ai fait ça à mon papa Oury ! c’est la première fois où j’essaie de trouver quelque chose chez Lacan et tout seul. Avant, c’était toujours avec mon papa Oury…
Public : rires
Marc : rires. Oui ! c’est la première fois. Je suis fier ! rires
Le masochiste comme martyr. Etymologiquement, cela veut dire témoin. Il vient témoigner de l’angoisse de l’autre. C’est à cette fin qu’il se porte volontaire – parce qu’il y en a plein, des copains, des voisins qui sont venus chez Job et qui lui ont dit : mais enfin ! sors du fumier ! va-t’en !
Catherine : ils donnent des conseils
Marc : oui, des conseils, mais il ne veut pas ! il ne veut pas ! c’est à cette fin qu’il se porte volontaire sur le poteau des supplices. Opération magistrale : l’intimide d’origine parvient à intimider l’autre au moyen de son supplice.
Je ne pense pas que Szondi connaissait ce texte de Lacan ; Je ne pense pas, et il n’y a plus personne pour nous le dire. Ils sont tous morts…
Szondi ne va pas lui vers la théologie mais il va vers le crime. Szondi développe le masochisme avec le crime. Les pires crimes sont les crimes masochistes. C’est la même structure logique mais Lacan choisit l’angoisse. L’intimide d’origine parvient à intimider l’autre au moyen de son supplice. Stupéfiant pied de nez au maitre ! mais en dérision de devoir s’identifier à lui-même jusqu’à la caricature. C’est magnifique. Le masochiste se fait jouet de l’autre pour s’en jouer. Il est même le vrai maitre. Il échoue mais jouit.
Dans, D’un autre à l’autre : Il tire de la narcotisation du principe de plaisir un surplaisir. Et c’est ça qu’il appelle la jouissance masochiste : le surplaisir. C’est un peu, comme disait Freud, dans l’automutilation, le corps délibidinalisé.
Amen !
Michel : Mais, dans l’automutilation, c’est le contraire. Les scarifications, c’est une façon de réintroduire la libido dans le corps.
Marc : la libido destructrice !
Michel : oui, mais qui laissent des traces. Des traces qui sont des traces libidinales du corps.
Marc : oui, mais des traces d’une désintrication pulsionnelle. L’automutilation, c’est ce qui va leur permettre de rester vivant, mais il n’y a plus rien qui est adressé à l’autre. Plus rien. C’est une position toxique. C’est une position première. Ils ne peuvent plus faire autrement.
Michel : c’est un dialogue avec le corps.
Marc : oui !
Michel : quand tu parles de Dieu, c’est la même histoire.
Marc : c’est dans le sacrifice. Mais celui qui s’automutile n’est pas dans le sacrifice.
Michel : il est dans la survie de la libido
Marc : c’est du masochisme. Et c’est le nœud de l’intrication pulsionnelle de la pulsion de mort et de l’érotique. Il ne parle plus de libido. Et c’est là, le noyau du masochiste. C’est le masochiste qui montre ce mélange des deux.
Michel : je pense à Lacan et à ce qu’il disait de la libido. Il parle de lamelle, de l’hommelette. Et c’est là-dessus que c’est une sorte de greffe de libido sur le corps.
Marc : dans ce texte-là, il ne parle pas de libido. Parce que libido c’est l’énergie sexuelle dans le sens le plus classique du terme. Freud lâche de plus en plus la dimension sexuelle du masochisme. Il y a un noyau masochiste dans la structure du fantasme. Se faire objet. Quand je lis ces textes sur le masochisme, on comprend que c’est le noyau du fantasme
Sylvia : dans un double jeu
Marc : oui, dans un double jeu. Cliniquement, on le trouve souvent. Dans l’automutilation, on doit essayer de faire toute une prise en charge du corps, pour le lier de nouveau à quelque chose qui est vie et qui permet à nouveau quelque chose. Pas d’endorphines, ni d’effets de l’insuline. Que le corps soit en attente de quelque chose. Cette surexcitation…. Les masos… écoute… vas faire la vaisselle. On peut tempérer le masochisme, mais ne pas le supprimer. Garder le double jeu. Ce sont des maîtres. Et que la réponse ne soit pas trop sadique, sinon cela devient une scène perverse sexuelle.
Gael : oui, le renversement du masochisme dans le sadisme, avec le crime…
Marc : on en parlera demain. Oui, parce que c’est très étonnant de trouver chez les grands criminels, le s- !. Ce grand criminel… il existe.. J’ai oublié son nom…
Michel : tant mieux
Marc : oui, tu as raison. Tant mieux. … dans les grands criminels pervers, le s-!!. Les experts sont là pour contredire mais ils ont un grand rôle dans le jugement. Et c’est toujours : ah oui, on ne sait plus très bien. Ce sont des pervers… mais cela veut dire quoi ? cela veut dire quoi ?
Eichmann n’était pas un s-!…
Public : dans les scarifications, cela me fait penser dans l’anorexie, tu parles de corps réfrigéré. C’est une façon de tenir ?
Marc : oui, c’est vrai.
Public : anesthésier ce corps.
Marc : je ne l’ai pas connue, mais Oury parlait de Kestemberg qui s’est spécialisée d’une part dans le psychodrame et d’autre part dans les anorexies et qui a écrit un livre magnifique sur la dimension masochiste dans l’anorexie. Essayer d’angoisser la mère. Ce n’est pas simplement la psychanalyse classique de Lacan qui dit que ce que l’anorexique demande, ce n’est pas l’objet classique de nourriture, mais c’est ce rien qui traverse à partir de ce que tu me donnes. Ce rien qui n’est pas visible, qui n’est pas saisissable. Mais c’est aussi angoisser la mère. Ce n’est pas la provoquer simplement. C’est aussi le signal de quelque chose qui émerge : quel objet suis-je ? et il ajoute : une fois qu’on est parti là-dedans, on ne sait pas où l’on va. Le tunnel du corps…. Hop ! et il faut que le corps s’enflamme.

Allez, à demain.