Séminaire de Marc Ledoux - Elne - juin 2015

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Marc Ledoux : Bon allez, sur Maldiney. La dernière fois, j’en ai un peu parlé, il venait de mourir et je vous ai demandé si c’est possible de se réunir autour de lui. Et dans un élan maniaque, j’avais proposé le transpossible et le transpassible, mais c’est extrêmement difficile et comme je suis très attaché à lui, je veux le respecter et à partir de moi même, essayer d’aller au fond de ses textes, d’autant plus que plus je le lis, plus c’est difficile. Alors je ne sais pas, si je le fais comme je l’ai préparé, c’est terriblement compliqué, Laurence m’a dit tout à l’heure de raconter des anecdotes, mais quoi, je raconte quoi ? Il a souvent raconté, c’était un homme très sérieux.

Georges Perez : Comment vous êtes vous rencontrés ?

ML : Moi ?

Laurence Fanjoux Cohen : Oui, toi !

ML : Mais, moi, je ne suis personne !

LFC : Justement

ML : je ne sais plus.

Michel Balat : Il faudrait avoir les interviews d’Oury. On a entendu hier sur France Culture, les cris de Marc.

ML : je ne sais plus où je l’ai rencontré la première fois… c’était à Louvain… avec Schotte. (allume un cigare)

GP : C’est interdit de fumer Marc

MB : tu es gonflé !

ML : (éteint son cigare) Non, non. Il a raison.

Je sais qu’il m’a dit un jour, c’était un colloque qu’on faisait sur le Szondi, Schotte était là et comme à chaque fois on essayait d’aborder chaque vecteur de manière la plus large possible. C’était sur le vecteur C et c’est un texte qu’on peut retrouver dans le livre Le contact et dans le livre L’homme et sa folie et j’avais fait quelque chose sur Schuman. Et plus tard, à Budapest, sur le vecteur P, c’était un moment superbe, comme on était dans la ville de Bartók, j’avais fait quelque chose sur Bartók et lui, on se connaissait déjà, il disait c’est bien. Moi, j’ai abordé la peinture par l’œuvre-même et jamais par le peintre, ni par l’histoire. Ça, c’est sa phrase célèbre : « il n’y a pas d’histoire de l’art ». Il n’y en a pas. Même quand ils ont fait il y a 5 ans une journée pour lui à Royaumont, il y avait Didi-Huberman qui avait été son élève à Lyon, et qui avait écrit tout et n’importe quoi, et là, il avait essayé de tuer son maitre en disant « il y a bien une histoire de l’art ! ». Mais, là, Maldiney était encore très vif, et il a bien réagi contre ça. Il disait qu’il abordait la peinture par la peinture même, de la même façon que moi Marc, je pouvais aborder Bartók et Schumann par leur musique et non par leur biographie. C’est vrai que j’avais essayé de faire apparaître la psychopathologie ou la structure existentielle de ces musiciens à travers une analyse de leur musique. Donc, ça, c’est quelque chose qui nous a lié. Je l’aimais beaucoup. Et à chaque fois qu’il venait chez nous, avec sa femme qui est peintre, on se retrouvait. Il racontait des histoires. Par exemple sur ses dernières œuvres. Ouvrir le rien. L’art nu. « Marc, tu l’as lu ? Je te le donne. Parce que pour la première fois, j’ai écrit ma propre vision sur la peinture. Jusque là, c’était à propos de, où je pouvais développer des petites choses. Mais là, c’est ma grande œuvre. Des gens me demandent pourquoi je parle toujours des mêmes peintres. Cézanne, Mondrian, même un flamand… surtout sa sculpture, il aimait beaucoup le baroque. Mais il disait qu’il n’y a pas de baroque en Europe mais au Brésil où je l’ai accompagné une fois. Ça c’était impressionnant quand même… dans L’art nu, il y a un monsieur dont j’ai oublié le nom qui a fait une sculpture devant une église, sur cette grande esplanade. Là dessus, il a beaucoup écrit. Kandinsky, Delaunay, Bazaine, Van Gogh bien sûr, Nicolas de Staël. Les gens demandaient donc, pourquoi toujours les mêmes, pourquoi pas sur Gauguin ? Il était très hostile aux musées, au comment les musées étaient conçus, et à quoi ils servent… il était très hostile et il y allait quand même. C’était très parlant pour moi qui n’y connais rien, de l’accompagner quand il allait voir une expo. Courbet par exemple à Paris. Il disait « j’écris sur les peintres qui me regardent. Qui me touchent. Et ce sont les peintures qui me regardent. Et il y en a qui m’ont regardé, qui m’ont touché et c’est là dessus que je travaille. » C’est une petite anecdote qui est restée. Son grand ami peintre, Tal Coat… il faisait de la montagne avec lui. Quand je l’ai eu au téléphone un mois avant sa mort, il allait bien, il attendait la mort mais sa tête allait bien et il écrivait encore, il lisait encore, Hegel, toujours le même… il me disait qu’il y avait une chose qu’il regrettait, c’est de ne plus pouvoir monter le Cervin, il le faisait maintenant dans sa tête. C’était une des premières montagnes qu’il avait montée. Il était alpiniste. IL parle souvent à partir de son vécu, quand il est sur la crête du Cervin avec Tal Coat, quand il voit soudainement non pas un objet apparaître mais à la fois dans cette opposition du ciel et la terre, il y a l’apparaître. Et cette sensation, il va l’utiliser souvent pour essayer d’approfondir sa phénoménologie.

De la même façon, ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’il a écrit un texte de son expérience des camps de concentration, son vécu. Tout à l’heure, on verra ce que c’était pour lui l’expérience. C’était pas loin de Besançon, Notre …ch’est pas quoi,  où il a d’abord été mis dans un camp de travail puis ensuite dans un camp de concentration. Il a écrit un tout petit texte après sa libération La porte ouverte. Quand on était ensemble avec Schotte, Roland Kuhn et Jean-Marc Poulard, il aimait bien Jean Marc Poulard aussi, il racontait : « qu’est ce qui fait que Primo Lévi, Bettelheim n’ont pas pu survivre ? » et là-dedans aussi, Szondi.

C’est par Schotte que Maldiney a rencontré la psychiatrie. Après la libération, il n’y avait pas de poste pour Maldiney pour enseigner en France et donc il est venu à Gand qui à l’époque était une ville francophone, et c’est là où il a enseigné à l’école des Hautes Etudes. Il a enseigné Malebranche surtout. Et c’est là qu’on avait envoyé Schotte suivre un séminaire de quelqu’un dont on ne comprend rien, -c’est peut-être ça que j’imite, ce n’est pas la peine quand on parle de Maldiney de le comprendre, on a parlé de Maldiney, on a compris, et alors ?… donc c’est cette phrase à laquelle je me suis identifié, il faut être un peu turlutte quand même…- donc Schotte est allé écouter un séminaire de Maldiney sur Malebranche et en sortant il a dit « mais je ne comprends rien, mais un jour je vais le comprendre », ça c’était la phrase de leur première rencontre. Et une amitié s’est liée entre eux. Surtout dans l’essayer de comprendre ce que Maldiney écrivait. Et Maldiney venait nous écouter et… hop, de temps en temps, il y avait quelque chose qui le frappait et cela l’aidait à continuer à développer ses trucs. Par exemple, sur le contact, il avait lu des textes de Philippe (Lekeuche) et de Mélon, et hop, voilà, ça l’a aidé à approfondir la dimension de l’humeur et du contact dans son développement du moi par exemple. Et c’était là aussi que Schotte a pris cette phrase de Maldiney, qu’il disait souvent : « quand je vais essayer de faire des cours, je vais essayer que les gens soient intéressés mais qu’ils ne comprennent pas. Pour leur donner envie de travailler. Pour leur donner envie d’aller travailler les textes que je cite ». Voilà, il nous invite à continuer à le lire et à le travailler. Ce n’est pas simplement lire. Mais de travailler. Voilà, cet axe là vient de Schotte et de Maldiney.

Il y a eu un moment, c’était à Lyon où il repris ça : il m’a dit, -alors Marc, tu n’es pas français ? Non, je ne suis pas français. -Mais essaye quand même. Essaye de suivre, je t’emmène, essaye de suivre un atelier de poésie d’André du Bouchet. André du Bouchet qui était marié à la fille de Nicolas de Staël faisait un atelier de poésie à Avignon. Moi, j’avais essayé de lire des phrases d’André du Bouchet et… rien, rien, rien… Il me disait « c’est pas grave, c’est le rien ! ». Bon, alors tu m’emmerdes avec ton rien. Mais si on regarde, c’est toujours la même thématique du rien. Le blanc, le vide, chez André du Bouchet. Et donc, il m’avait emmené suivre un atelier de poésie d’André du Bouchet à Avignon. Et dans la voiture, il essayait de trouver des mots pour que je puisse trouver l’espace dans lequel André du Bouchet travaillait.

La même chose avec Oury. On retrouve un témoignage dans l’annexe de Création et schizophrénie, leur dialogue à Beaubourg. C’était lors d’une exposition que l’atelier peinture des pensionnaires de La Borde avait organisé à Beaubourg, et Maldiney avait demandé d’exposer les œuvres d’un pensionnaire dans un espace uniquement à lui. Avec de l’espace autour des oeuvres pour circuler. C’est à dire pour pouvoir tourner autour de la peinture. Et quand on lit ses textes, il va souvent entrer dans la peinture, la sculpture, les masques, par le contraste entre la face et le profil. Et donc, dans cette expo à Beaubourg, le soir il a dialogué avec le Dr Oury, et l’après midi il avait demandé d’être seul pendant trois heures pour aller marcher autour de ces peintures. Et au bout de deux heures, il m’avait proposé d’y aller avec lui. Allez Marc, veux-tu venir avec moi ? Avec lui, je me sentais toujours tout petit, mais en même temps fier, bien sûr, et j’ai donc pu marcher une heure avec lui, -et ce n’était pas difficile pour me taire !- et il commençait à rassembler ses mots, -lui, il n’improvisait jamais un texte, jamais, le contraire de Schotte- quand il faisait un texte, il l’avait écrit son texte, comme pour sa femme quand elle faisait une peinture. Donc, il allait s’asseoir et il essayait de rassembler des mots qui venaient quand il était touché par tel ou tel détail d’une peinture.

C’est aussi par Schotte qu’il a rencontré Roland Kuhn et Binswanger… Et Roland Kuhn était le grand spécialiste du Rorschach et le lui avait expliqué, et un peu comme il a utilisé le Szondi, il va stratégiquement faire appel au Rorschach. Quand il analyse un Rorschach, et ça il savait très bien le faire, alors qu’il n’arrivait pas à lire un profil, mais il analysait bien un Rorschach comme la peinture. Donc je me souviens, il analysait la peinture de la même façon qu’il pouvait le faire avec une tache du Rorschach. Et donc, voilà, le soir, et ça, c’était un moment superbe je trouve, ce dialogue entre lui et Oury pour essayer à partir d’une articulation avec la peinture, de faire le passage avec ce qui se passe dans la psychopathologie. C’est quelque chose qu’il a toujours essayé de faire. Comment la peinture ou la psychopathologie ou la dialectique entre la psychopathologie et l’art nous ouvre, nous permet de mieux approfondir qu’est ce que c’est l’homme ? C’était sa question tout le temps. C’était la question pour le philosophe. C’était un philosophe et rien d’autre qu’un philosophe, mais bon, qu’est ce que ça veut dire rien d’autre ? Qu’est ce que c’est l’homme ? Qu’est ce que c’est être ?

Il a abordé cette question par énormément de champs dont la peinture, la psychopathologie et on peut dire par la philosophie même. Chacune de ses œuvres est un recueil de textes. Il y a trois semaines, j’avais fait à Louvain « Maldiney et Szondi » et je ne m’en sortais pas de la chronologie, non pas que je sois obsessionnel mais je disais que j’aurais aimé travailler chez lui comment les concepts se sont construits et s’il y avait une possibilité d’avoir une certaine chronologie. Nulle part on ne trouve une chronologie de ses textes. Une fois, je lui avais demandé. Il m’a dit « ouiii Marc, je vais chercher, mais là, je ne sais plus… ».

Une de ses œuvres la plus difficile, c’est le livre Aîtres de la langue et demeures de la pensée, ça alors mes amis, si vous pouvez lire ça, on se revoit dans dix ans. Où la question de l’être humain est abordée surtout par la philosophie grecque concentrée sur la linguistique. Quelle est la philosophie de la langue chez les grecs, reprise par deux grands spécialistes, d’une part l’historien que Schotte a traduit, Johanns Lohmann, et d’autre part ce linguiste inconnu jusque ce que Maldiney l’a fait connaître : Gustave Guillaume. Gustave Guillaume qui va de Paris jusqu’à Laval et qui n’a jamais réuni ses textes. Et maintenant il y a plusieurs personnes de l’ULB à Bruxelles qui travaillent pour rassembler les textes de Gustave Guillaume. Pour Maldiney, Guillaume est le linguiste beaucoup plus important que de Saussure par exemple. Et donc dans ce livre, Maldiney aborde l’être humain d’une part par la philosophie grecque concentrée sur la linguistique et d’autre part par, ….brrrrrrrr.., la musique ! La base mathématique de la musique comme elle a été à l’origine chez Pythagore, etc, etc… et par exemple, lors d’une journée à Royaumont il y a 5-6 ans, il y avait un ensemble qui a joué de la musique très ancienne qui a été reconstruite pour pouvoir la jouer comme on pouvait le faire dans la Grèce Antique. Et moi, j’étais à côté de lui, il était extrêmement surpris. C’était pour lui quelque chose de l’événement. Ils avaient trouvé un ensemble qui fait cette musique-là avec les mêmes éléments de construction musicale. Moi, quand j’étais petit, j’avais fait du solfège et de l’harmonie, et je croyais que je connaissais quelque chose à la musique, … tu parles ! Donc, ça aussi, ça ne m’a pas déprimé, c’est un grand mot mais, … un peu quand même… ah là là là là… je lisais ce texte sur la musique dans ce livre et je ne comprenais plus rien ! à quoi ça sert d’avoir fait de l’harmonie ?

Quoi d’autre comme anecdote ? Ah oui ! C’est qui Tosquellas ? Oury m’a dit un jour qu’il était en voyage avec Tosquellas, de St Alban à Marvejols, c’est une anecdote que tout le monde connait… Tosquellas disait à Oury « tu sais ce que c’est la schizophrénie ? C’est un collapsus de la transcendance ». Oury raconte ça à Maldiney. Et hop ! ça aussi c’est une phrase qu’on va retrouver tout le temps. Cette phrase ne l’a plus jamais quitté. Et il me disait : « mais, Marc, toi qui travaille à La Borde, c’est qui Tosquellas ? Et toi, tu es allé avec Oury et Schotte chez Tosquellas après le 1er janvier, -il faisait très froid, c’est vrai, j’avais été là-bas-, toi qui connaît Tosquellas, c’est qui Tosquellas, où est-ce qu’il a trouvé cette phrase ? Elle est géniale ! » A chaque fois qu’on va trouver quelque chose qu’il développe à partir de la transcendance comme concept philosophique, la transcendance chez Kant, l’ego transcendantal chez Husserl, des textes qu’il connaissait par cœur, -enfin par cœur, je n’en sais rien, mais en tout cas qu’il a travaillé toute sa vie-, et tout d’un coup il y a quelqu’un qui va extrapoler ce concept fondamental de la philosophie pour essayer de circonscrire ce qu’est la schizophrénie. Alors, c’est une phrase qui a eu l’effet d’un événement. C’est vrai. Il a toujours dit ça. « Marc, ça c’est un événement dans ma pensée qui n’arrête pas de se penser ». Toujours, on va retrouver un commentaire sur la transcendance. Il va toujours l’appliquer à propos de la schizophrénie.

Il était lecteur permanent d’un couple de philosophes Husserl et Heidegger. Il n’a jamais arrêté, pas un jour dit-il, d’avoir lu Heidegger. Au début, il ne pouvait pas le lire dans le texte. Donc, il lisait les peu de traductions. Et nous, on avait un prof à Louvain, de Waelhens qui avait traduit Heidegger. Et de Waelhens et Schotte étaient bon copains et donc, c’est aussi par Schotte, que Maldiney a poussé de Waelhens à traduire Heidegger. Sein und zeit, l’être et le temps, une des premières traductions a été faite par de Waelhens, un de nos flamands. De Waelhens et Von Breda, qui était un curé. C’est lui qui a été un gardien extrêmement veillant des oeuvres de Husserl. Quand Husserl a été déporté, sa femme a pu rassembler quelques textes, fuir jusqu’à Louvain et là, elle a été protégée par Von Breda. C’est là que l’institut Husserl a été édifié et a stocké ses œuvres. Et plein de gens comme Derrida, Levinas, etc etc… sont venus travailler là les textes de Husserl. Maldiney aussi. Voilà. Ils étaient tout le temps ensemble. Maldiney et de Waelhens. De Waelhens allait au foot et buvait du whisky et Maldiney travaillait. Et quand il en avait marre de voir de Waelhens boire du whisky, il rentrait chez lui faire de la montagne. Et puis il revenait à l’institut travailler sur les archives. Pendant trois ans. Comme Ricoeur a pu le faire aussi plus tard. Derrida aussi venait. Ça existe toujours les archives de Husserl. On est fiers un peu quand même ! Pas Louvain La Neuve ! Pas chez les wallons ! Chez nous ! Ils sont là !

Après, petit à petit, Maldiney a appris l’allemand, il a suivi des cours d’allemand, mais il a surtout appris dans les textes, et puis ensuite, à la fin, les trente dernières années, il a toujours lu Heidegger et Husserl dans le texte.

Ce qu’on ne sait pas très bien, c’est que pendant des années, quand il a commencé son enseignement à Lyon, il a beaucoup commenté Freud et Lacan. Il a pendant une vingtaine d’années fait deux séminaires, un sur Freud où il commentait surtout les textes qui étaient les plus importants pour Lacan, Psychopathologie de la vie quotidienne et Die Traumdeutung et les cas cliniques. Il faisait aussi un séminaire par semaine sur Lacan où il a surtout commenté le premier Lacan, le stade du miroir, la parole, l’agressivité en psychanalyse, le rapport de Daniel Lagache, et c’est au moment, ça va presque ensemble, où il a rencontré Szondi, qu’il dit, – et on peut le lire à travers ses textes- « je suis plus en affinité avec le concept et la dynamique de la pulsion qu’avec l’axe « l’inconscient et le langage . D’accord Lacan, mais ce n’est pas mon affinité. Mon affinité est beaucoup plus szondienne ». Parce que Szondi va essayer tous les clivages qui existent, et ça commençait à cette époque, -maintenant, qu’est ce que c’est maintenant ? c’est du morcellement, c’est de la dissociation à l’intérieur de la psychanalyse, il y a des chapelles partout, il y a des je ne sais pas quoi, comment on peut appeler ça, chaque psychanalyste est sa propre école…etc…- c’était au début de toute cette querelle à l’intérieur de la psychanalyse et Maldiney disait : mon affinité va avec la théorie des pulsions de Szondi parce que cette théorie peut rassembler tout ce qui est dissocié à l’intérieur de la psychanalyse. C’était au moment où Lacan était très hostile vis à vis de Ich analyse, analyse du moi, qu’est ce que c’est le moi, et lalala… tout ce truc là qu’on connaît… et lui dit : non, non, non, on va sauver le moi, le vecteur du moi. Mais ce n’est pas du tout le même statut logique que chez Lacan. Et on peut donner une autre structure à ce moi à partir de mon affinité avec la pulsionnalité. Il faisait Freud et Lacan, et hop, il rencontre Schotte qui lui fait rencontrer Szondi et c’est là, que hop… et c’est après que Maldiney va se spécialiser dans des textes comme psychose et présence d’où vient le concept de la pulsion. Ce n’est pas Freud qui a conceptualisé la pulsion. C’est Fitche, c’est Schering, et c’est Freud qui a pris chez ces philosophes là, à sa sauce, la pulsion.

Une des premières choses que j’avais faites, mais je ne l’ai pas fait tout seul, avec quelqu’un qui faisait sa thèse sur la pulsion, on a creusé un peu comme des pervers, qu’est ce que Freud a laissé tomber et qu’est ce qu’il a pris chez Fitche, chez Schering. Un peu une lecture perverse de ça…

Bon voilà pour les anecdotes. Est ce que maintenant je peux travailler sur son concept qu’il a développé à la fin ? Schotte dit que c’est peut-être le concept le plus difficile et le plus important pour toute la psychiatrie. Et quand Schotte dit psychiatrie, c’est l’anthropopsychiatrie. C’est peut-être le concept qui nous aidera à aller le plus loin. Ce n’est pas un concept, mais deux ! Le transpossible et le transpassible.  Bon, si vous en avez marre, levez vous et partez ! rires… Parce que c’est difficile.

J’ai essayé d’aborder ça à travers tout son travail. J’essaye de le construire petit à petit. Ces deux concepts, le transpossible et le transpassible. C’est à partir aussi de de Waelhens et de Schotte avec le Pathei mathos : apprendre par l’épreuve. Et seulement par elle. Maldiney disait que cela pouvait être l’épigraphe de tout son travail. C’était le nom d’une collection dans laquelle est paru l’analyse du destin de Szondi.

GP : ça s’écrit comment ?

ML : ça s’écrit en grec. P-a-t-h-e-i m-a-t-h-o-s

GP : non, mais je demande comment tu l’écris l’épreuve ? les preuves ?

ML : apprendre par l’épreuve ! Pathei mathos ! Eprouver ! une souffrance, une épreuve !

LFC : ne me regarde pas comme ça. Ce n’est pas moi qui ai demandé !  C’est celui qui ne veut pas qu’on fume qui demande !

DS : il ne veut pas comprendre.

Rires

ML : Francis Ponge auquel Maldiney a consacré deux livres, Le legs des choses et Le vouloir dire de Francis Ponge. Quand on connaît un peu Von Weizsäcker, je ne peux pas trop le dire,  mais on est entre nous, j’étais content quand on a pu traduire Pathosophie… juste avant de mourir il m’a dit « mais Marc, tu l’as fait sortir trop tard la traduction. Je n’ai pas eu le courage de le lire –c’est vrai, c’est terrible en allemand- je suis fatigué maintenant pour vraiment travailler jour et nuit ce livre en français. Tu l’as fait sortir trop tard. Pourquoi tu as attendu tant d’années – il m’engueulait un peu- c’est vrai, tu l’avais commencé, tu me l’as dit, et puis ensuite tu l’as laissé tomber, pourquoi tu as attendu ? ». Donc, voilà, on trouvait Von Weizsäcker, mais pas Pathosophie. Donc, Le vouloir dire de Francis Ponge, son deuxième livre.

Un autre, mais on pourrait en parler des heures, le linguiste de Rennes, Gagnepain. Pour nous, en psychiatrie institutionnelle, les plans qu’il a dessinés sont importants. Maldiney l’utilise beaucoup moins. Schotte, à certains moments, a beaucoup utilisé ce modèle de Gagnepain. Et un des titres de livres de Gagnepain s’appelle Du vouloir dire. Mais donc, pathei mathos, apprendre par l’épreuve, qui est repris par Francis Ponge par l’intermédiaire de Maldiney pour définir son œuvre… Francis Ponge va circonscrire tout son travail de poète comme pathéimathique, il disait « si vous voulez savoir ce que j’ai fais, et bien je n’ai fais que de la pathéimathique ». Comme en réponse à la phénoménologie classique, surtout la version française… c’est une raison pour laquelle Maldiney est très peu cité par les philosophes français, sauf par Deleuze, parce que Deleuze était un de ses élèves à Lyon et quand il prend la phénoménologie par exemple de Sartre, pour dire que la philosophie n’est pas quelque chose d’académique, la philosophie n’est pas de la littérature, c’est une épreuve, la phénoménologie, c’est l’épreuve d’apprendre qu’est ce qui se donne à voir. Les phénomènes, l’apparaître. Retour aux choses mêmes, dit Husserl. Mais qu’est ce que ça veut dire ? Qu’est ce que ça implique ? ça implique une épreuve ! Quand on fait de la clinique, est ce que c’est notre a priori, est ce que c’est notre savoir qu’on va appliquer ? C’est ça la clinique ? ça va pas, non ! Mais qu’est ce que c’est alors ? Et bien, c’est une épreuve d’apprendre à être ouvert à ce qui se donne à voir. Et il va à ce moment là, c’est sa manière de penser, chez les gens qui l’accompagnent toujours et qu’il lit tout le temps… Hegel. Est ce qu’il y a quelque chose dans cet apprentissage à m’apprendre ? Dans cette dialectique entre l’esclave et le maitre : est ce qu’il y a quelque chose de l’épreuve ? Oui. l’esclave, aussi, vit la mort, mais à la différence du maitre, – si on l’entend bien, moi ça m’a demandé des années, je peux vous demander de … je ne sais pas… de l’entendre, où ça sort et ça prend tout de suite cet accent Maldiney-, l’esclave vit la mort, mais à la différence du maitre, l’esclave apprend à mourir, -apprendre, à ce moment là, qu’on trouve aussi dans le texte de Hegel, s’appelle erfarhen,- l’esclave l’apprend toujours la mort, mais il ne le sait pas. Et pour lui, apprendre par l’épreuve est beaucoup plus basal, fondamental que le savoir. Mais lui disait toujours « ne mélangeons pas les deux registres ! Quand je dis beaucoup plus basal que le savoir- il était très respectueux, il était hostile pour certaines choses, mais pour des auteurs qui réfléchissent, il était très respectueux- ne viens pas faire de commentaires avec Lacan, on doit extrapoler, on ne peut pas comparer des choses qui ne sont pas comparables. »

Après il part du mot erfahren. Farhen, c’est comme en flamand, ça veut dire voyager, traverser, faire route. Voyager, c’est – on trouve ça dans un texte magnifique, dans un recueil qui a été fait pour un hommage à de Waelhens qui s’appelle Qu’est ce que c’est l’homme, c’est paru à Bruxelles et Maldiney a écrit là-dedans un texte magnifique qui s’appelle La prise. Je vous l’ai déjà dit. Mais je suis sûr que vous ne l’avez pas lu. Encore une fois, essayez. Trouvez le, photocopiez le et lisez-le. Donc, dans la prise : Voyager, c’est traverser, passer au-delà, passer de l’autre côté, -j’ai utilisé cette phrase dans le livre Qu’est-ce que je fous là  pour commenter la traversée de Tosquelles- voyager c’est traverser, passer au-delà, de l’autre côté, franchir, apprendre, c’est intégrer à l’état d’acquis, -le préfixe er de erfahren-, tout ce qui se découvre au cours de cette traversée où on fait route à travers le monde. Mais cet acquis ne forme véritablement un acquis si nous ne cessons d’être en partance. Il disait que tous les jours il commence à penser. Cela ne s’arrête jamais de penser. Jamais, il ne fait un système. Jamais. On va trouver des articles. Un livre est une sorte de testament, mais ce sont des chapitres sur des peintres. Mais il n’a jamais écrit sa philosophie comme Heidegger La philosophie de l’esprit, ce sont des articles, c’est toujours en train de se penser. C’est pourquoi il ne s’agit jamais de prendre pied.

Tout est impossible. On ne peut pas parler de transpossible et de transpassible sans parler de l’impossible. Tout est impossible. Et d’abord, qu’est ce qui est impossible ? Exister ! Et ça aussi, ça été un peu virulent entre moi et lui. Lui, il faisait l’opposition entre le vivant et l’existant. Il disait toujours que Von Weizsäcker avait très bien décrit le vivant mais ça restait trop biologique, ce n’était pas suffisant pour approfondir l’homme et il faut passer par l’existant. Moi, je disais que Von Weizsäcker avec d’autres mots parlait de l’existant ! Mais, bon… bon, alors, tout est impossible et d’abord existeril faut partir pour avoir lieu. De temps en temps, je vais vous jeter des phrases qui sont des phrases de Maldiney. Mais n’essaye pas de comprendre. Que ça résonne ! Mais pas comme la poésie. Et c’est peut-être là, dans cette marge, entre ne pas comprendre et le pas de poésie, qu’il y a quelque chose comme la philosophie.

Il faut partir pour avoir lieu. L’itinéraire philosophique de Maldiney est de commencer et de recommencer, ce en quoi c’est une marche. Lui, il aimait bien marcher. C’était un alpiniste et un marcheur. Souvent il marchait avec Tal Coat, et il marchait aussi seul. Une marche véritable. Il accomplit souvent ce que lui-même dit de la forme artistique. Tout  à l’heure je disais qu’il n’y a pas d’histoire de l’art, la forme artistique, elle est là quand elle se forme, se formant elle-même. Le départ de la forme artistique est partout et pas à certains moments. Chaque phrase dit-il, -et ça c’est dans son premier livre, quand il analyse la philosophie de la langue et quand il va commenter les premiers linguistes grecs, les philosophes de la langue grecque, qu’est ce que c’est une phrase, qu’est ce que c’est un mot, qu’on va retrouver chez Gustave Guillaume, qu’est ce que c’est un mot-, chaque phrase surgit de cet instant de silence, instant si bien décrit par Goethe dans des extraits de pièces de théâtre, et que Binswanger aimait bien citer. C’est aussi par l’intermédiaire de Schotte que Maldiney a rencontré Binswanger. J’avais une photo… ah, je ne la trouve pas, où est-elle, ah Marc Ledoux !… j’avais une photo de Maldiney, Binswanger et Kuhn. Je vous la montrerai demain matin. Pour Maldiney, Binswanger a été un des psychiatres qui lui a le plus appris sur ce que c’était l’homme. Et donc ce texte célèbre, L’homme en psychiatrie. La psychiatrie n’est abordable que par l’homme et l’homme n’est abordable que par la psychiatrie. Et dans ce sens-là, on ne risque pas de trouver une science objective avec tous les désastres que cela donne. Donc chaque phrase surgit de cet instant de silence, si bien décrit par Goethe et que Binswanger cite et que Maldiney reprend souvent : Lorsque nous nous heurtons soudain à l’inattendu, lorsque le monstrueux surgit à nos regards, notre esprit se tient pour un instant silencieux. Nous n’avons rien à quoi comparer cela. 

Son livre L’art, l’éclair de l’être est consacré à la poésie, et les grands poètes qui l’ont inspiré pour dire qu’est ce que c’est écrire, qu’est ce que c’est la parole, qu’est ce que c’est la différence entre un mot, une parole, un discours et compagnie, c’est Hölderlin, un de ces poètes qui l’ont touché, Rilke, André du Bouchet. Surtout ces trois là. Donc, de l’écriture et la parole, il peut dire ce qui résonne avec les vers de Goethe, qu’elles n’ont de ressources que dans les moments critiques où elles ont à être. Et une parole surgit. Un mot surgit dans la poésie dans un moment critique. C’est avoir à être. J’ai à être. Qu’on peut reprendre dans le Szondi dans le Sch. k : avoir p : être. Avoir à être est solidaire de l’exposition de s’exposer à l’impossible.

La pathologie de l’obsessionnel nous montre l’échec que c’est possible d’avoir à être et il s’arrête sur le mode névrotique à l’avoir. Il confond l’être avec l’avoir. Combien tu as sur ton compte et je te dirais qui tu es ! Voilà l’obsessionnel. Pour lui, plus rien n’est impossible. C’est un échec. Il paye avec sa pathologie. Et il n’en a jamais assez. Et on sait bien que ceux qui ont beaucoup de sous sont des emmerdeurs, car ils n’en ont jamais assez.

Cet avoir à être est solidaire de l’exposition à l’impossible et au risque de s’effondrer en n’étant pas à la mesure, -et la mesure, cela vient de la musique et pas de la morale…- un an avant de nous quitter, il me disait « ah, Marc, tu as enfin compris toute ma thématisation de la mesure, c’est pour échapper à ce qui est là maintenant, par tout ce qui est mesurable et le mesurable comme calcul n’a plus rien d’un système musical et il n’y a plus aucun passage vers la morale, -en n’étant pas à la mesure de ce qui nous appelle démesurément. On est toujours dans la démesure, mais est ce qu’on peut entendre un appel à la mesure ? ça, c’est typiquement une phrase de lui.

C’est là que Maldiney va prendre une phrase de Claudel, qui est presque l’épigraphe de Schotte, dans Art poétique, entre connaître et co-naitre. Ça, c’est une phrase clé chez Schotte. La différence entre connaître et co-naître. Dans Penser l’homme et sa folie,  L’évènement est de soi surprenant, excédant toute prise, excluant toute emprise …- c’est pour vous dire, moi j’aime bien sa langue, bon, j’aime bien son écriture, elle est un peu lourde au début, mais quand on le travaille, ça m’a beaucoup aidé de le lire… –excédant toute prise, excluant toute emprise, nous co-naissons avec lui.

Public : tu peux répéter ?

M.L. : Aaaahhh… L’événement est de soi surprenant, excédant toute prise, excluant toute emprise nous co-naissons avec lui.

Et plus nettement encore, une rencontre est co-naissance. L’être rencontré surgissant d’un rien comme le rencontrant lui même. Et ça c’est une épreuve. Et c’est à ce moment là qu’il va rencontrer Von Weizsäcker. Lui même Maldiney va plutôt s’inspirer de Gustav Kreis que de Pathosophie. Dans le dernier chapitre de Penser l’homme et la folie, p 323, le chapitre de la transpassibilité, Schotte disait que c’était le chapitre peut-être le plus difficile autour de la psychiatrie. L’évènement nous advient en tant que nous devenons nous-mêmes. Indivises l’épreuve et la transformation. Que nous apprenne t-elle de qui nous sommes ? Ce n’est pas d’être projet du monde qui fait que je suis moi. C’est ma façon d’accueillir, d’endurer l’événement et d’être par lui mis en abîme, mis en demeure de surgir unique dans l’instant éclaté. Tout le reste de ce que je vais raconter est une explication de cela.

Dans un autre recueil, L’irréductible, Maldiney dit en prenant la formule de Heidegger Deviens ce que tu es … mais en ajoutant mais tu ne l’es vraiment qu’à le devenir. Qu’Erwin Straus a repris plus tard à partir de Maldiney : on devient ce qu’on est et on est ce qu’on devient. Vous voyez comment les gens travaillaient entre eux. Et Schotte était là… le chauffeur de bus, il allait chez l’un et chez l’autre avec cette phrase superbe, et hop, ça faisait un cocktail. Deviens ce que tu es mais tu ne l’es vraiment qu’à le devenir. C’est à cette dimension de l’épreuve que Maldiney a voué ses interrogations et ses rencontres toute sa vie. Quelles rencontres ? Lesquelles ? Souvent, très souvent, il reprend la plainte mélancolique. Et quand il parle de la mélancolie, il va se concentrer de plus en plus autour de la phrase paradigmatique, canonique, qui vient de Kraepelin : « ah, si je n’avais pas… je n’en serais pas là ». Combien de fois variées, il n’a pas commenté cette plainte mélancolique. Mais ce n’est pas répétitif, c’est une reprise, comme Kierkegaard ! Une re-prise. Combien de fois il n’a pas commenté la Sainte Victoire de Cézanne. Combien de fois il n’a pas commenté la poésie de Francis Ponge. Combien de fois il n’a pas commenté le poème superbe, Le lézard. Combien de fois il n’a pas commenté le poème Les volets de Francis Ponge. Lisez ça simplement. Ne comprend rien. Lisez ça, hop, et bon voyage. Combien de fois il n’a pas commenté les poèmes de André de Bouchet. Combien de fois il n’y a pas eu de visites et de discussions publiées avec François Cheng sur le vide et le plein, sur la philosophie chinoise. François Cheng était son copain. Il a beaucoup commenté aussi l’art chinois. Et François Cheng avait superbement bien parlé lors des journées à Royaumont Autour de Maldiney. Donc, toutes ses rencontres, la plainte mélancolique, la poésie de Francis Ponge, la philosophie chinoise et la philosophie vont se déployer dans la dimension du pathique. Ce n’est pas la peine que je vous parle du pathique parce que ça, on le connaît pas cœur ici, la différence entre le moment gnosique de connaître de ce qui est, de être et le pathique, de ce qui est éprouvé. Et l’éprouvé n’est pas abordable par la connaissance mais par le sentir et le ressentir. Et donc dans ce dialogue avec Erwin Straus dans le livre Regard parole espace, il développe son dialogue autour du pathique, le sentir, le ressentir, dans la dimension de l’esthétique, dans la dimension du style, dans la dimension de ce que c’est le rythme et qu’on va retrouver dans toute la dimension du contact chez Szondi. Dans les deux sens. Ça nous aide beaucoup tous ces commentaires qu’il a donné sur le sentir, le ressentir, pour développer le contact dans la psychopathologie et inversement, lui, Maldiney va utiliser nos conneries sur les facteurs szondiens pour approfondir ses concepts du sentir ressentir. C’est très étonnant. Et vraiment, moi j’aimerais bien, je retrouve un peu les frites, j’aimerais bien écrire quelque chose sur comment ça s’est construit chez lui, cette mise en forme comment ça a pris avant et après qu’il ait connu Szondi…

Chez Von Weizsäcker, c’est complètement différent le pathique, ce sont les verbes pathiques, pouvoir, devoir, vouloir etc. etc. vous connaissez. Il y a un chapitre dans Pathosophie qui s’appelle La réalisation de l’impossible. Ce qui se réalise, c’est l’impossible. Tu t’imagines que pour Maldiney ça résonne. Exister, c’est l’impossible, et ce qui se réalise, c’est l’impossible. Donc, c’est quoi se réaliser ? C’est quelque chose qui va s’objectiver ? Donc l’impossible va s’objectiver, c’est ça ? Non ! Donc, à partir de Von Weizsäcker, il va approfondir  ce qu’est l’impossible. Cette pensée de l’impossible il va l’aborder. Et là, on va de plus en plus vers le noyau ! Si vous ne suivez plus, vous le dites, hein ? C’est de ma faute. Cette pensée de l’impossible, centrale pour Maldiney, commence par cette phrase : Le réel, – oubliez la triade de Lacan, réel imaginaire et symbolique, oubliez ! il ne faut pas être surdéterminé par quelques mots quand même !- le réel, c’est ce qu’on n’attendait pas qui a lieu, mais il faut partir pour avoir lieu, donc il faut être en mouvement pour que quelque chose ait lieu et c’est ce lieu qu’on n’attendait pas. C’est ça qu’il appelle le réel. Pour mieux circonscrire dans cette formule ce qu’il veut dire, il ne va pas faire la discussion avec Lacan sur le réel, il reste dans la philosophie et il va critiquer la dimension de Bergson. Cette dimension sur l’impossible et la réalisation de l’impossible, c’est une thématique chère à Bergson, dans le livre La pensée et le mouvant, c’est un livre que j’aime beaucoup. En France on ne parle pas beaucoup de Bergson, on fait un truc comme ça avec son nez quand on prononce le mot de Bergson, je ne comprends pas, c’est superbe sur le concept de la durée… donc il va essayer de mieux circonscrire le réel en critiquant Bergson. Maldiney ne reprend pas la critique bergsonienne du possible. Bergson dit « la réalisation – on est dupes de ça dans notre travail en psychiatrie, pour soigner des gens… faites moi des projets, quelle est votre finalité, montrez moi des objectifs… dans des délais comme ça, ça doit être réalisé… même le deuil… dans une clinique d’angoisse, après trois mois vous partez… ça doit être réalisé…  quoi ? l’impossible ? tu parles !-  Donc, Bergson dit « la réalisation apporte avec elle cette imprévisible rien qui change tout ». Pas mal ! Il y a quelque chose qui est apparemment impossible et ça se réalise parce que dans tout ce qui est apparemment impossible il y a quelque chose d’imprévisible qui fait que quelque chose a lieu. Ce rien étant précisément l’excès de réel, ce sur quoi justement nous nous attendions, dit Bergson. Et bien, non, Maldiney n’y va pas. Il a été formé à l’école de Kierkegaard. Et ça, c’est la rencontre entre Maldiney et Oury. Et Oury a grandi dans l’école de Kierkegaard. Quand il y a quelqu’un que mon papa Oury continue à lire tous les jours, et quand il ne le lit pas, je lui donne des médicaments car je sais que cela ne va pas, c’est Kierkegaard. Comme Maldiney. Jamais il n’a quitté Kierkegaard. Il a été formé à l’école de la possibilité de Kierkegaard. Parce que Kierkegaard dit que le possible est peut-être la catégorie la plus lourde de toute la philosophie. Et c’est à partir de là, pour critiquer Bergson que Maldiney va introduire le concept de transpossible. Il y a un impossible qui en se réalisant descelle la vanité ou le caractère illusoire du possible. Quand l’impossible se réalise cela veut dire que le possible était illusoire. C’est comme la thématique chez Aristote de la matière et de la forme. Quand il y a quelque chose qui se réalise, ça veut dire que la forme était l’illusion qui était déjà présente dans la matière. Donc, arrêtons de parler de la forme. Quand l’impossible se réalise cela veut dire que le possible était illusoire, ça, c’est Bergson.

Et, il y a un autre impossible qui ne se réalise pas. En déchirant la trame du possible pour se faire jour, -Maldiney ne dira jamais que  l’impossible se réalise-, se montre la force et le sens de cet impossible, c’est de ça dont il s’agit. Possible et pouvoir se disent en bien des sens et corrélativement impossibles. Le point de départ entre le possible et le pouvoir, c’est la thématique de Heidegger pouvoir être. Ce n’est pas un possible que nous avons, ce n’est pas un possible que nous calculons, ce n’est pas un possible que nous nous représentons, c’est un pouvoir être. Que en tant qu’existant, nous sommes un pouvoir être. Nous ne calculons pas nos possibilités et ce pouvoir être ne tend pas vers une réalisation. Et ça c’est une trouvaille géniale de Heidegger, quand il combine le pouvoir être avec le pouvoir mourir. Un truc génial. Pourquoi à ce moment là il va les mettre ensemble ? Pour montrer que le pouvoir être ne peut pas se réaliser, le pouvoir mourir disparaît avec l’événement de la mort. Le pouvoir mourir ne va pas trouver son accomplissement dans la mort. Quand je meurs, je ne peux plus mourir. C’est pour ça qu’on va dire qu’on meure tous les jours à quelque chose… Je ne sais pas, quand j’ai 6 mois, je suis mort au paradis, je ne peux plus bouffer ma mère. Je suis mort. C’est ça le pouvoir mourir. Je peux continuer à mourir. Mais, quand je meurs et qu’il y a la mort, je ne peux plus mourir. Ça va ? Les possibilités que je thématise et que je me représente, c’est tout le temps ça maintenant… tu vas où en vacances ? tu as déjà projeté tes vacances ?…. les possibilités que je thématise et que je me représente se voient retirer leur caractères de possibilités pour devenir quand elles se réalisent des réalités données ou visées. …ah, c’est possible qu’en septembre je vais aller là ou là… c’est foutu. La réalité est visée. Il n’y a plus de possibilité. … Essaye de faire un projet. On va voir si on va t’embaucher. Viens avec ton emploi du temps… le possible de Heidegger n’est pas possible au sens habituel du terme, et là dans Heidegger, le possible dans le pouvoir mourir par exemple est devenu impossible selon le sens du possible qu’implique le pouvoir être. Ça va ça ?

Public : non

M.L. : bon, il commence avec le pouvoir être. Pour pouvoir expliquer le pouvoir être, il va le combiner avec le pouvoir mourir, quand je meurs, je ne peux plus mourir. Qu’est ce qui est le plus important ? Le rituel de la mort ou la possibilité de pouvoir mourir ? Est-ce qu’on donne la possibilité aux gens de pouvoir mourir ou est-ce qu’on va thématiser la mort ? Et que c’est moi maintenant qui va choisir quand je serais à ma mort. Voilà. Là, il n’y a plus de possible. Ça va ? Donc, il combine le pouvoir être avec le pouvoir mourir. Maldiney reprend ça avec Kierkegaard : le possible est un impossible dans le sens du possible qu’implique le pouvoir être. Cette possibilité de pouvoir mourir est impossible à se réaliser.

C’est dans cette dimension, celle de l’instant de quête de notre pouvoir être que Maldiney va travailler. Et par exemple il dit de Tal Coat que c’est une peinture à l’impossible en ce qu’elle nous met en demeure d’être. Dès qu’on va essayer de représenter une peinture, c’est foutu la peinture, c’est foutu l’œuvre ! On la thématise, on la commente, on la met en représentation, c’est foutu ! On va la regarder en spectateur, on va la regarder en face, c’est foutu. Comme je le disais tout à l’heure, il tourne, il circule autour, pour échapper à pouvoir la thématiser, à l’objectiver, etc. Tal Coat est une peinture à l’impossible en ce qu’elle nous met en demeure d’être, elle nous ouvre la demeure de l’être et nous oblige à être notre propre possibilité qui est impossible. Donc, l’impossible, ce n’est pas négatif ! Ce n’est pas un im- privatif. L’impossible est une dynamique du possible.

Ou encore dans l’esthétique des rythmes dans Regard, parole, espace, parole autour de l’œuvre d’art en général, la présence de l’œuvre d’art – c’est pour ça qu’il n’y a pas d’histoire de l’art- la présence de la Sainte Sophie qu’il a commenté dix millions de fois, mais allez y vite, car maintenant elle est prise dans l’idéologie politique à İstanbul, allez vite si vous voulez voir les fresques en haut, si vous voulez voir la coupole vide, vite ! avec le coco là-bas… donc, c’est autour de la Sainte Sophie qu’il commente la présence de ce vide quand tu y entres. Maintenant, il n’y a plus les travaux et il n’y a plus d’échafaudages, et quand tu entres tu es vraiment avec et dans le vide. La présence est sa propre possibilité.

L’œuvre d’art est pouvoir être. Et ça, c’est une phrase de Maldiney, n’essayez pas de comprendre avec nos têtes névrosées : l’œuvre d’art perdue, jetée, échouée, au milieu de son environnement, elle ne s’y trouve qu’à s’y trouver, s’y découvrir en s’y révélant . De s’y trouver, n’existe pour nous que dans un point. On ne s’y trouve et on ne se trouve que dans un point dans notre vie. Quel point ? Il appelle ça le point critique. Notre vie n’est que passage d’une crise à l’autre. Kuhn et Binswanger lui ont donné plein de phénomènes cliniques pour approfondir sa philosophie à partir de « on ne se trouve que dans un point critique ». Dans la crise. Il n’y a que la crise épileptique et la crise hystérique. C’est là qu’il a appris beaucoup de Szondi. C’est la deuxième et la troisième position qui sont des positions critiques. Il n’y a pas de crise toxicomaniaque. Il n’y a pas de crise dans la toxicomanie. Il n’y a pas de crise dans la psychose.  Il n’y a pas de crise dans la mélancolie. Qu’est ce qui remplace la crise dans la mélancolie ? La plainte ! c’est toute sa philosophie là. Il n’y a plus de décision qui est quand même un moment critique dans notre existence, la décision. A partir de laquelle le monde s’ouvre. La décision n’existe pas entre ça et ça et ça. C’est des conneries ça. Le directeur qui arrive dans son bureau, qui dit bonjour à personne, il va dans son bureau, il doit prendre des décisions !… eh bien dis donc… c’est ça la bureaucratie !

Une décision, c’est ce moment critique de notre déchirure qui fait, qu’à partir de là, le monde s’ouvre. Dans la psychose, il n’y a plus de décision. Dans la mélancolie, c’est la plainte et dans la psychose c’est le délire. En nous… et ça c’était la critique de Schotte sur Maldiney, il disait que c’était une vision très pessimiste, très négative de notre travail, que cela ne ferme pas de faire des possibilités de faire des choses quand même et c’est à nous de créer à travers notre travail, et notre merde de faire de la merde pour qu’il y ait des crises et des conflits quand même. On ne va pas résoudre les conflits, c’est la mort ! Tosquelles, superbe, génial. Ça, Maldiney aimait bien quand Tosquelles disait qu’il faut des conflits ! Notre travail, c’est faire des conflits et il faut avoir les institutions et l’analyse institutionnelle pour non pas résoudre les conflits, mais les traiter, pour que ça puisse continuer et que cela ne se transforme pas en destruction. Et souvent quand il y a un conflit, cela devient vite violent. Ah, ça non ! etc. etc. donc à chacun des moments critiques, une présence devient, comme il dit, ce qu’elle est. Ce n’est que dans les moments critiques qu’une vraie présence existe. Et c’est là, et c’est superbe, mais c’est vraiment quand on aime Maldiney, quand on entre dans l’intérieur de son œuvre, c’est là où il critique Heidegger. Il va intégrer dans toute la philosophie de Heidegger le sentir. Et ça, c’est peut-être la dimension la plus fondamentale dans toute l’œuvre de Maldiney, c’est d’intégrer et de donner une place du pathique, du sentir, du ressentir à toute la philosophie. Aussi bien il le fait pour Aristote, pour Platon, dans Regard Parole Espace où il essaye d’intégrer la dimension du pathique dans Hegel. C’est un article superbe.

Pour nous cliniquement, qu’est ce que ça veut dire la toxicomanie ? Qu’est ce que ça veut dire l’immédiateté ? Pour Heidegger, ça n’existe pas l’immédiateté. Le sensible c’est quelque chose qui ne peut exister que quand on le met tout de suite dans la dialectique de la négation. Pour moi, grâce à Maldiney, on peut travailler avec l’immédiateté : où ? Dans la toxicomanie ! « tout tout de suite ». ça ne sert à rien de mettre du négatif dans la toxicomanie. Ça ne sert à rien. Je provoque un peu. Hein Michel, j’espère que bientôt tu pourras m’aider à cette thématique de l’immédiateté et du sentir et du négatif.

L’impossible de l’œuvre d’art, l’impossible d’exister en appelle à notre pouvoir être sans quoi, -et là il passe du transpossible au transpassible-, sans quoi il n’y aurait ni réponse ni répondant mais une stupeur destructrice. Il lie toujours le transpossible au pouvoir être. C’est la mélancolie qui nous apprend le transpossible, c’est à dire être toujours porté par le pouvoir être. Si on n’est plus porté par le pouvoir être, c’est la destruction. Heureusement, que dans la mélancolie il y a la plainte qui peut-être détruit celui qui l’écoute, mais pas le mélancolique. Il ne peut pas être porté par ce pouvoir être, ça s’est accompli… c’est arrivé… et Maldiney joue sur le néologisme en être arrivé là sans être jamais parti. Si je n’avais pas… je n’en serais pas là. Tout à l’heure Laurence me disait, ah j’ai ouvert ce livre Psychose et présence et… ô là là là, j’espère que tu vas nous donner envie de travailler la mélancolie par exemple. Mais quand tu lis Psychose et Présence, il y a un article plus facile dans Existence et psychose p124, quand est-il de la temporalité mélancolique ? Voilà, si tu veux travailler la plainte mélancolique, tu peux commencer là et après au boulot. L’échec de la transpossibliité c’est dans la mélancolie. Ils ne sont plus portés par le pouvoir être.

MB : Je peux dire un truc ? J’avais inventé une petite équation. Je ne sais pas si cela pourrait t’intéresser…

ML : Oh, arrête ! Il faut le formuler.

MB : elle est facile.    pouvoir être    =  serait

se trouve être

ML : serait ? le futur hypothétique ? et comment tu arrives à le mettre là ?

MB : j’ai écrit ça il y a 20 ans, dans une revue de philosophie, un article sur Lacan où j’avais proposé cette équation. Qu’Oury reprend.

ML : AH ! Où ? Je n’ai jamais entendu.

MB : Oui, dans le séminaire de Ste Anne, il en parle souvent.

ML : ces choses là quand même ! Quel est le sens de cette barre ?

MB : le sens de la barre, c’est un rapport. Le rapport entre le pouvoir être et le se trouve être, c’est le serait. Tu viens de le dire avec le mélancolique. Quand le mélancolique ne peut plus faire un rapport entre le pouvoir être et le se trouve être, il n’y a plus de serait. Il ne serait pas..

ML : je n’en serais pas là.

MB : voilà, quand il n’y a pas ce rapport…

ML : p 129. Serais est un futur hypothétique. Tandis que le futur catégorique, s’ouvre au sortir du présent, le futur hypothétique s’ouvre dans le présent au sortir du passé. Il s’agit d’un présent non clos, mais non pas ouvert pour autant.

Mb : d’ailleurs serais n’est pas si ouvert que ça. C’est ce qu’on appelle un conditionnel

ML : oui oui oui, c’est un présent non clos, sans tension, purement extensif. Cette extension qui l’apparente à une étendue signifie que le temps n’est plus en expansion. L’identité en lui, dans serait, du présent et du futur, dénonce un état stationnaire du temps qui ne se temporalise plus.

C’est pour ça que je ne comprends pas…. Pouvoir être et se trouver être…synonymes ?

MB : c’est deux choses qui n’ont pas de rapport. C’est un peu tout ce que tu as raconté… il n’y a pas de rapport entre les deux excepté le serait…

ML : oui… tu me fais toujours réfléchir…ça m’amuse… ça m’use…. Ça muse… allez demain on continue sur le transpassible.

Samedi 12 avril

ML : Bon allez on y va. Laurence a dit qu’on fait un peu sur la transpassibilité, on fait une pause et puis ensuite elle m’a demandé de faire un profil de quelqu’un de La Borde et de montrer comment on travaille. Cet après midi, je présente un profil. Allez, on y va.

Je résume hier le transpossible. Le transpossible, c’est la dimension sans coordonnées préalables, c’est à dire ni réelles que ça se réalise, ni idéelles comme des a priori du pouvoir être. Et dans l’article de la transpassibilité le plus difficile, donc vraiment il faut l’étudier, la travailler dans le livre Penser l’homme et la folie, il va beaucoup plus loin cet article, dans le sens qu’il met en question, c’est pour ça que pour moi, c’est rigolo, enfin, pas rigolo, mais passionnant chez Maldiney, c’est qu’il n’a pas arrêté de réfléchir jusqu’à la fin de sa vie. Donc, il va mettre en question la problématique du pouvoir être. Il va transformer le rapport entre le transpossible et le pouvoir être. Il précise davantage les termes de transpossible et transpassible. Il critique Heidegger.

Bien sûr, il pense toujours que c’est par l’épreuve qu’on apprend. Le transpassible va se concentrer autour de « qu’est ce que c’est que rencontrer l’autre ? ». Et c’est à partir de cette thématique de la rencontre qu’il va critiquer le pouvoir être. Je cite, P 404 de Penser l’homme et la folie : l’être de l’autre – l’autre avec un petit a, mon prochain, tu te rends compte, il me disait que quand il a trouvé ça, il était presque désespéré- L’être de l’autre est hors de mon pouvoir être. Hors. Il ne m’appartient pas de pouvoir le « possibiliser », l’autre. Ce qui fait signe et ouvre mon appel fait signe vers mon être, en tant que celui-ci est irréductible au possible, y compris à mon propre pouvoir être. Et donc tout l’article de la transpassibilité est construit autour de la notion de l’appel.

Michel Balat : on peut dire un truc en passant. Ça veut dire quoi mon pouvoir être ?

ML : je répète : mon pouvoir être veut dire ce qui fait signe et ouvre mon appel, c’est l’autre qui provoque mon appel… en tant que mon être est irréductible au possible.  Qu’est ce qui m’interpelle. D’où vient cet appel de l’autre. Et c’est ça qui est hors mon pouvoir être.

MB : une autre question pour être bien sûr de pouvoir te suivre. Si l’être est irréductible au possible, cela veut dire déjà exister.

ML : oui, exister, c’est être hors de soi. Là, il commence avec le transpassible. Il y a quelque chose en l’autre que j’appelle, qui m’appelle et qui m’interpelle qui est hors possible, c’est ça qu’il va essayer de dire. Il précise. Le transpassible consiste à n’être possible de rien qui puisse se faire annoncer comme réel au possible. Elle est une ouverture sans dessein ni dessin. Dessein, le vouloir. Elle est une ouverture à ce dont nous ne sommes pas à priori passible. Il faut savoir que le mot passible vient du mot pâtir. Subir, pâtir. Mais, quel est ce rien ? c’est là qu’il s’appuie beaucoup sur la philosophie chinoise, le rien. Quel est ce rien ? ou ce rien à partir duquel nous sommes requis. Ce rien signifie simplement un arrachement à l’étant, donc à un autre qu’on peut thématiser…

Public : étang ? plouf ?

ML : étant ! dans le sens philosophique du terme, un autre qu’on peut objectiver, l’être et l’étant

Public : le cabestan

ML : l’étant de Sartre, l’être et l’étant, qu’on peut objectiver. Donc un arrachement à ce qui est là, et du côté de ce qui advient, et du côté de celui à qui cela arrive, nous sommes dépossédés de nos possibilités si il y a quelque chose qui nous arrive. Et il dit que ce rien est lourd de tous nos possibles. C’est un rien radicalement mobile et non pas une pure absence. Et  ce que j’aime beaucoup dans cet article, c’est à partir de la page… son commentaire sur Winnicott dans Jeu et réalité,  l’espace potentiel et surtout la préface qu’a fait Pontalis qui va reprendre et dont Winnicott reprend la thématique… le break down

Didier Petit : La crainte de l’effondrement

Ml : Oui,  La crainte de l’effondrement. Toute cette structure profonde dans la crainte de l’effondrement, Maldiney le commente à partir du passage 413 de l’article de la transpassibilité. Pour dire que le rien n’est pas une pure absence. Et pour nous, quand on travaille avec les bébés, avec les petits enfants, c’est extrêmement important que cette carence, de quel ordre elle est ? Est ce que c’est une carence mobile, ou est ce que c’est une carence qui marque une absence ? Quelque chose a lieu qui n’a pas de lieu… c’est une lutte contre la béance… j’aime beaucoup ces 4-5 pages de Jeu et Réalité. On peut le lire à partir de là. Superbe. Ce rien n’est pas hors possibilité. C’est un radicalement mobile.

Maldiney va décrire ce rien sous plusieurs axes à travers son œuvre. Ce rien, qu’il va lier à Paul Klee, c’est celui du chaos, ce moment cosmogénétique, ce moment de jaillissement primordial, ce rien est aussi mobile dans la thématique de la crise, selon Von Weizsäcker, ce rien est potentiellement tout dans la crise… un autre axe, celui de la lucidité, -je disais hier dans la voiture, ah j’aimerais bien que quand Michel est bien réveillé, on fasse ensemble un truc sur Gustave Guillaume, comme hier soir, ce sont des moments superbes. Moi, non plus, je ne connais pas bien, alors cela m’aidera pour vraiment l’étudier Gustave Guillaume. Cette approche de la langue, comment ça se rencontre dans la sémiotique… pour moi, c’est un rêve de pouvoir faire ça ensemble. Je vous le dis. Vous faites ce que vous voulez avec mes rêves… et toi… la la la…

MB : oui…

GP : Bon, on va peut-être vous laisser…

Public : rires

ML : par exemple, c’est un thème de Gustave Guillaume, le rien, celui de la lucidité puissantielle, ce sont des mots lourds…

GP : c’est du lourd

ML : de puissance, qui est pour Gustave Guillaume, le temps premier de la causation du langage.

MB : quel est le temps premier ?

ML : cette lucidité puissantielle. La puissance de la langue. Le temps comme durée, la langue comme tension. Quelles sont les dimensions de tension dans la langue.

MB : est ce qu’il dit que pouvoir être est un subjonctif ?

ML : non

MB : il a tort.

ML : c’est un infinif.

MB : oui, bien sûr, mais le temps du pouvoir est un subjonctif. Il ne le dit pas ?

ML : je ne sais pas. Je pourrais aller chercher. Est ce qu’il y a un moment, dans son commentaire sur Gustave Guillaume, est ce qu’il va inscrire le pouvoir être dans une structure grammaticale du langage, je ne sais pas… je vais chercher. Je vais voir chez Lohmann.

Il choisit aussi le rien lourd de possibilités lorsqu’il parle du vide de la pensée et de l’art chinois, quand il commente la peinture aussi bien que la poterie, il parle beaucoup de la combinaison du rien et du vide. Ou bien, encore un autre axe, le thème de l’ouvert dans Hölderlin, que l’on va retrouver dans Regard, parole, espace, cette dialectique entre l’ouvert et le rien que l’on va retrouver dans sa dernière œuvre,  Ouvrir le rien, c’est le titre de son testament. La consécration de toute son œuvre. Ouvrir le rien. L’art nu. Donc le titre parle. Celui de l’ouvert de Hölderlin ou de Heidegger. Après le …

LFC : quand tu dis Heidegger, c’est bien de Hei-de-gger dont tu parles ?

ML : comment vous le dites en français ?

LFC : Hei-de-gger

GP : Hei ! deux guerres !

ML : ah la la

Public : rires

LFC : avé l’accent catalan – rires

ML : par définition, quand vous prononcez comme ça, c’est un nazi.

Heidegger

GP : Hei ! deux guerres ! c’est un arc réflexe- rires

ML : c’est très sérieux ici ! ah ben alors ! c’est très sérieux …

Donc il va lier le rien avec la thématique du dernier Heidegger, dans toute la thématique du hors attente. Et quand mon papa Oury va prendre quelque chose, c’est là. Le narcissisme originaire est hors attente. Oui, oui… Maldiney a parlé de ça, mais c’est surtout chez Blanchot ! Non, j’men fous de Blanchot c’est chez Maldiney… et on se dispute… rires.

Ou bien, et là c’est intéressant dans notre travail clinique, c’est existentiel dans Heidegger, le souci et dans le dernier Heidegger, on va plutôt trouver l’insouciance opposée au souci et au schwermut, la pesanteur. Et un mot intraduisible gelassenheit et que dans les dernières traductions on a traduit avec les moyens du bord par sérénité. Ce n’est pas beau mais quand même. On n’en a pas trouvé d’autre. Donc, à travers son œuvre, il va articuler plusieurs axes, Paul Klee, Gustave guillaume, l’art chinois, Hölderlin, et le dernier Heidegger.

Malween : est-ce qu’il utilisait Kimura ?

ML : ah oui, il utilisait beaucoup Kimura. Beaucoup ! Quand Danielle a écrit son livre, sur les paysages de l’impossible, l’avec schizophrénique, elle combine une lecture de Kimura commentée par Maldiney. Oui ! Mais je ne peux pas tout faire !

GP : Pourquoi ?

ML : Parce que d’une part, je ne suis pas capable et qu’ensuite vous vous foutez de ma gueule.

Public : rires.

ML : alors, je pense que là où on peut aborder le mieux le transpassible, c’est quand il est en échec, en défaut. C’est dans la psychose et en particulier dans la schizophrénie. Et ça, c’est un fil conducteur dans l’œuvre de Maldiney. A chaque page, on va souvent rencontrer ce qu’est un défaut dans la schizophrénie. C’est quoi ? La psychose se ferme peu à peu à ce niveau originaire de l’expérience de vivre qui est celle du sentir et du ressentir par lequel nous pouvons être ouvert à la surprise de l’événement. A quelque chose qui nous excède et qui est dans notre possibilité d’être, notre potentialité. N’importe quel fait qui se passe peut nous confronter à quelque chose qui nous excède, qui nous touche, qui nous plombe. Ça peut être Atlantico Madrid qui gagne le match contre Barcelone. Ça peut être la commémoration du génocide du Rwanda.

GP : les français n’y étaient pas-

brouhaha- rires

ML : Je sais. Quand les français gagnent, ça ne me fait rien. Quand ils perdent, ça me rend joyeux, mais ce n’est pas de l’ordre de l’évènement.

Ce qui nous ouvre à l’événement, à ce réel qu’on n’attendait pas, c’est la transpassibilité. Pour le dire simplement. C’est à dire une capacité de subir qui n’est limitée par aucun a priori. Est-ce qu’on peut supporter l’insupportable pendant des années ? car comme l’événement lui même, l’existence qui accueille, ek-sistere, avoir sa tenue hors de soi, c’est là toute sa critique sur le vivant, ek-sistere, mais hors de soi ne veut pas dire ex dehors, car comme l’événement lui même, l’existence qui accueille est hors attente, est infiniment improbable, elle n’a rien à quoi s’attendre, elle n’a rien à attendre de quelqu’un ou de quelque chose, et bien dit-il c’est précisément, comme tu disais hier, quand tu disais un peu vite, mais bien, quand tu parlais de disposition, cette réceptivité accueillante à l’événement, c’est ça qui fait défaut dans la psychose et en particulier dans la schizophrénie. Donc, tout notre travail de l’accueil, mais c’est un mot complètement surdéterminé, tout le monde utilise ce mot, mais il faut bien savoir ce que cela veut dire, l’accueil.

Public : il y a des banques d’accueil

ML : oh la la, oui, c’est terrible. Pour nous, le mot accueil, on le condamne et on parle de fonction d’accueil. C’est complètement différent. Quel est ton degré de fonction d’accueil dans ton travail ? Tu ne vas pas être réceptif avec un schizophrène qui habite en appartement en ville ou alors à la campagne ou alors qui est à l’hôpital. Ce n’est pas la même fonction d’accueil ! Par exemple, avec notre patient qu’on voit avec Laurence le vendredi, si on n’a pas vu le match de foot, et bien le transpassible ne marche pas.

MB : l’histoire des fonctions quand même… les fonctions, c’est précisément ce dont on parlait hier. Le passage de l’accueil à la fonction d’accueil, c’est le passage de l’indicatif au subjonctif.

ML : Note le ! Je vais le retenir. Où est ce que je peux apprendre mieux la grammaire ? Une grammaire simple, basale…

MB : …

LFC : je te passerai le petit Bled, je l’ai à la maison.

ML : Comment s’appelle le livre des deux belges qui ont fait la grammaire

Public : le … du bon usage. Le Bescherelle… le Bled…

Public : c’est trop dur

ML : pour moi, c’est trop dur, c’est pour avoir la base. Parce que là, passage du l’indicatif au subjonctif, avec toute la thématique logique là-dedans, … que je puisse me préparer, est ce que l’accueil comme substantif… etc. est ce le passage de l’indicatif au subjonctif… c’est superbe comme question mais…

GP : comme réponse !

ML : comme questionnement ! et bien donc cette réceptivité accueillante à l’événement fait défaut dans la psychose. C’est de manière pathique, donc toujours sur le monde contactuel qu’on contacte les gens. Chaque séance psychanalytique ou autre commence dans le contact. Ce n’est pas la peine de donner une main et allonge toi et je n’ai même pas eu le temps d’avoir vu ou d’échanger l’expression de ton visage pour voir s’il y a une tonalité dépressive. Ce ne sont pas les mots qui vont nous dire quand même qu’il est déprimé.

GP : c’est quoi ?

ML : c’est la tonalité dans le mot ou dans le visage. On n’a jamais vu l’humeur dans un mot. Il y a par exemple dans l’article Contributions Kuhn Maldiney, Kuhn qui commente une phrase d’une patiente qui passe le Rorschach. C’est une phrase apparemment banale. Elle dit : et vous voyez, aujourd’hui, il ne me vient rien à l’idée, je ne sais pourquoi. Aussi à la planche 7 : voyez vous chaque fois que je découvre un côté négatif chez d’autres personnes, je trouve que je l’ai moi même. Pendant des pages, Kuhn va lire ces phrases d’interprétations des taches comme le noyau de la dépression. Mais impossible de le détecter si elle n’avait pas eu à projeter ce qui se passe dans un choix d’interprétation d’une tache.

Donc c’est de manière pathique que l’existant est ouvert à l’évènement. Ce n’est pas de manière gnosique. Cela ne se produit pas dans un monde déjà constitué et indépendant de nous mêmes. On ne peut pas être dans le transpassible quand on regarde la télé. Où les montages sont faits. Les infos sont faites pour échapper au transpassible. C’est ça leur succès aussi !

GP : pourquoi tu dis quand tu évoques la phrase « je ne vois partout que des choses négatives et je trouve que je les ai aussi ». Pourquoi tu dis que ce n’est pas dépressif dans les mots ? ça apparaît.

ML : tu n’as qu’à lire la suite. Oui, mais c’est à partir de là, qu’il développe tout l’aspect dépressif.

C’est de manière pathique que l’existant est ouvert à l’événement. Qu’il ne se produit pas dans un monde déjà constitué. C’est au contraire le monde qui s’ouvre à chaque fois à partir d’un événement. Le monde n’existe pas. Il n’ek-siste, n’est qu’un mouvement à partir de quelque chose de l’ordre de l’événement, de quelque chose qui nous sur-prend, qui nous dé-possède, qu’on subit. Pour montrer en quoi consiste ce bouleversement que produit en nous l’événement, il va s’appuyer sur la distinction qu’il trouve chez Erwin Straus entre Geschehnis qui veut dire un événement qui fait partie de la vie quotidienne, du temps ordinaire, un fait qui devient une anecdote et Erlebnis, l’évènement en tant qu’épreuve de ma vie singulière. Et pour faire cette distinction Erwin Straus rapporte un exemple de ses patients. C’est à propos d’un homme renversé par une voiture, et qui gisant mort dans la rue est entouré des témoins de l’accident parmi lesquels se trouve un médecin et un jeune homme. Le médecin constate professionnellement la mort de l’accidenté sans que cela l’atteigne de manière personnelle. Parce qu’il travaille dans les urgences. Alors que le jeune homme, au contraire, profondément touché par ce spectacle demeure pendant des semaines incapable d’oublier la vue du mort. Pendant des années. Qu’il a enkysté d’une certaine façon. Et Maldiney commente : si l’évènement d’être présent sur le mode perceptif dans cet accident n’a pas eu le même destin, c’est parce que le vécu n’était pas le même au départ. Ce n’est pas la perception d’un mort– et là c’est toute l’œuvre de Maldiney qui parle, c’est la différence entre la perception et le pathique- ce n’est pas la perception d’un mort qui est en soi bouleversante mais le rapport entre un mort et la mort dans lequel le jeune homme est impliqué. Il n’y a donc pas d’événement en soi puisque l’évènement ne prend sens que dans une situation. Donc toute la thématique où on ne parle pas d’un sujet objet mais de quelqu’un en situation. Quelqu’un en situation pour échapper à toute la problématique de l’objectivité. Il n’y a donc pas d’événement en soi puisque l’évènement ne prend sens qu’en situation et qu’il ne peut affecter l’existé qu’en tant qu’évènement de l’existence.

Mais inversement, la présence elle-même de quelqu’un dans la vie, la présence elle-même de quelqu’un à soi même, être présent… simplement, j’aimerais bien moi ici calculer le coefficient de présence. Chez nous, on dit dans un coefficient de présence qui va de 0 à 10, si le coefficient est de 2, c’est pas mal. Ça va. Il est déjà un peu présent. Ce n’est pas la liste de présence qui va indiquer notre situation de présence. Cette échelle nous indique la thématique de la pré-sence. Etre en avant de soi. Pré. Donc la présence elle même de quelqu’un n’est que par l’ouverture de la personne à l’événement. Etre ouvert à ce qui se passe, à ce qui à lieu. C’est ce qui conduit Maldiney à dire que cette ouverture à l’événement est ce par où la présence existe et qui lui fait dire, il va rajouter à la liste, que l’événement est existentiel. Pas seulement le souci, le pouvoir pour la mort, mais aussi un existentiel.

MB : tu connais la définition de Peirce de l’événement ?

ML : Non, pas du tout.

MB : un événement est une jonction existentielle de faits incompossibles.

ML : oui, c’est bien, c’est la même chose, c’est existentiel. C’est intéressant quand même de faire des ponts !

MB : …

Public : rires…

MB : chaque fois que je dis ça à Oury, il s’en fout.

ML : Ah non ! Ce n’est pas vrai ! Il dit ça parce que ce n’est pas lui qui l’a dit. Mais il ne s’en fout pas. Il entend quand même. Il m’emmerde beaucoup mais là, je le défends. Après, ça fait son chemin. Et après, il nous dit : ah oui, Michel, c’est intéressant… mais au début, oui, ce narcissisme pas possible… mais il est quand même plastique…

GP : peut-être qu’il ne comprend pas ce que dit Michel.

ML : qui ?

GP : ton père- Oury…

ML : quand il dit « j’men fous » il a compris.

GP : non, parce qu’il est obligé de répéter.

ML : non, il le reprend avec ses propres mots.

rires

GP : quand l’autre répète, c’est qu’il ne le comprend pas.

Rires

ML : sans doute qu’il le reprend à certains moments…

GP : non, sinon Michel nous en aurait parlé

ML : je ne sais pas, je ne sais pas… rires

Donc, cette ouverture à l’évènement, c’est ça qui fait que, la présence existe, et alors on peut comprendre pourquoi, dans la psychose il n’y a pas d’événement. C’est sa phrase qui revient toujours et c’est cette phrase qui a été très critiquée

Sylvia Dias : c’est terrible

ML : oui, c’est terrible

GP : c’est normal.

ML : Le mélancolique dont la temporalité ne consiste qu’en rétention, vous vous rappelez, tout comme le maniaque, – ce sont les pathologies qu’il commente le plus-, tout comme le maniaque qui sans appui dans le passé ne connaît qu’une temporalité sans cesse à venir n’ont pas de présent véritable. Et donc, de là, dans son œuvre, qu’est ce que c’est le présent comme temps grammatical ? C’est quoi le présent ? C’est quoi l’instant ? Donc sa première œuvre Aîtres de la langue et demeures de la pensée  est consacrée pour une grande partie à ce qu’est le présent. Ils sont par là exclus de l’événement. Quand au schizophrène, il s’efforce, – et ça ce sont des pages magnifiques- il s’efforce dans son délire de rencontrer l’événement. C’est ça qu’on disait hier dans la voiture. La rencontre ce n’est pas l’autre, c’est l’événement. Rencontrer l’événement car le délire est pour lui le seul moyen de se comprendre lui même. C’est encore un essai d’exister le délire. Ils essayent à travers le délire de rendre compte de cette métamorphose existentielle qu’exige la survenue d’un événement. Ça me fait quelque chose, ça me confronte, ça m’interpelle, c’est un appel. Est-ce que ça me convoque à une métamorphose, à une transformation ? Pourquoi Kafka, il tourne toujours en rond, et pourtant il n’arrête pas, tout le temps, de mettre sur la scène dans ses livres, des métamorphoses, des transformations, des situations absurdes qui interpellent l’autre à se métamorphoser. C’est pour ça que Maldiney dit que Kafka est un grand mélancolique. Tout son enseignement, dès le début, jusqu’au moment où il va rencontrer Szondi, il va commenter Freud et en particulier pendant trois ans Schreber. Il a commenté pendant deux ans l’interprétation de Lacan de Schreber. Le délire de Schreber était toujours une tentative de se métamorphoser pour pouvoir accueillir l’événement. L’événement de Schreber c’était quand même de devenir père. Aussi bien au niveau public, sa nomination, qu’au niveau homme-père. Cette survenue de l’événement, comment ça va me transformer ? Il ne peut pas. Et le délire est une tentative. Mais le délire est en même temps une occultation de cette métamorphose. Et Kafka va trouver plein de personnages, des animaux pour occulter cette impossibilité de la métamorphose. Et Maldiney se réfère aussi bien à Schreber qu’à Suzanne Urban, un cas clinique classique de Binswanger, car -284- la démultiplication des persécuteurs dans le délire de Schreber, la multiplication dans le délire de Suzanne Urban ont pour effet, – et j’aime beaucoup ce passage- de diviser la compacité du terrifiant.. Est-ce une façon d’échapper à la proximité absolue de sa propre étreinte ou est-ce une aggravation de la terreur, comme le pense Binswanger, en ce que le malade est désormais entièrement tombé au monde d’où l’assaillent les persécuteurs ?

La question reste posée, mais l’échec est le même.

GP : il fabrique des enfants

ML : qui ?

GP : Schreber. La multiplication

ML : oui, les persécuteurs, ça n’arrête pas chez Schreber

MB : Georges dit plus que ça

ML : il en fabrique beaucoup, il copule avec tout le monde. Le délire est en même temps une occultation de cette métamorphose.

GP : une présentification

MB : une compacité du père. C’est ça que dit Georges.

ML : Maldiney dit de diviser la compacité du terrifiant. C’est terrifiant quand même de ne pas pouvoir accueillir cet événement. Et donc voilà.

GP : c’est une manière d’accueillir

ML : absolument, c’est une manière d’accueillir

MB : catastrophique

ML : catastrophique, bien sûr.

Malween : il y a quelques années en arrière, j’étais dans une clinique psychiatrique et j’animais un atelier d’écriture et j’avais demandé aux personnes qui étaient rassemblés là de fermer les yeux et qu’ils s’imprègnent dans la contemplation d’un paysage intérieur imaginaire et une fois qu’ils s’en étaient bien imprégnés, je leur ai demandé d’imaginer la survenue dans ce paysage de quelqu’un puis d’écrire. Et ce qui m’a complètement surprise, aucune des personnes qui étaient là autour de la table n’a raconté un décentrement de soi vers l’autre, mais au contraire c’était quelque chose de la refermeture, c’est à dire d’attendre que la personne passe pour retourner à la contemplation. Un impossible d’aller à la rencontre de l’autre. Et cela m’avait vachement interpellée. Constater qu’aucune de ces personnes n’étaient capables de se décentrer pour aller vers l’autre, c’était quelque chose qui… Et je trouve que dans cette lecture là, ça prend sens.

Geneviève Feixas : est-ce que cela peut se traduire par une formule comme « je suis le paysage et je suis dans le paysage » ce n’est pas la même chose.

ML : je vais donner un exemple

GP : dis bonjour à la dame

ML : La première fois sans doute il y a longtemps où nous étions en présence Roland Kuhn, Jacques Schotte et moi même… Le schizophrène qui vivait depuis presque dix sept ans dans un état de prostration presque constante mais dont Roland Kuhn avait remarqué la sensibilité apparemment paradoxale aux formes et aux couleurs a été invité à regarder des reproductions de peintures. Je les avais choisies -lui, quand il commente… une fois qu’il avait été dans l’atelier de poésie de Bouchet, on l’invitait souvent à aller dans des ateliers d’art thérapie, dans des ateliers d’animations, essayer de trouver des techniques pour pouvoir rencontrer, il disait ‘restons à l’authenticité de la vie, je vais leur montrer des formes, parce que l’imagination… etc. ça vient de mettre en forme quelque chose’. Je les avais choisies (les peintures) telles que en raison de leur style, leur moment apparitionnel constituait un indivisible moment d’évidence et de surprise. Tout en jouant avec un lacet le malade jetait sur celles qu’on lui présentait un regard furtif comme à la dérobée et lançait quelques mots au sujet de chacune. Des mots à l’arraché. –vous vous rappelez, l’arrachement-. Certaines de ses expressions étaient si expressément ajustées à la plénitude de l’œuvre qu’il eut été difficile au plus aigu des critiques d’en trouver d’autres. Mis en présence d’une des dernières baigneuses de Renoir, dont l’espace ambiant est l’aura radieuse et tourbillonnaire d’une forme en expansion et de flux coloré –ça c’est typiquement Maldiney– il dit simplement : le soleil d’or de la vie. Alors s’est produit un incident. Appelé au dehors, le Dr Kuhn est sorti. Aussitôt la porte refermée, le malade s’est levé en disant à nous qui restions là assis, « à qui le tour, messieurs ? ». Il avait été garçon coiffeur à Lausanne. Pour la première fois depuis 17 ans, quelque chose de son passé émergeait. Peut-être était-ce l’occasion furtive d’un échange. Il lui fallut trouver la parole ou le geste capable de faire de cette lueur le premier tremblement historique d’un passé enfoui devenu absolu.

Quelques mois plus tard, le Dr Kuhn a fait une expérience du même ordre. Il montra à un malade schizophrène deux lithographies de Tal Coat dont les taches noires discontinues – vous trouvez cette reproduction dans Ouvrir le riendont les taches noires discontinues en tension mutuelle représentent un vol d’oiseaux. Non pas un groupement d’oiseaux volants mais la dynamique rythmique d’un vol dont les taches noires communiquent entre elles dans l’ouvert des énergies blanches. Or à partir de cette vision et de l’échange de paroles qu’elle suscitât entre le patient et son médecin s’établit une conversation tellement normale que le Dr Kuhn en venait à se demander s’il avait encore à faire avec un malade, si celui qui était là était celui qu’il connaissait.

MB : ah, purée, il y a de quoi écrire à Danielle. Tu vas dire quelque chose de ma part à Danielle. Je crois qu’en fait, il me semble que ce qui est touché dans le contact ce n’est pas la priméité comme telle, mais la priméité de la tiercéité.

ML : C’est vrai. Ça, j’ai compris.

MB : tu lui dis pour voir si elle est d’accord. Comme elle connaît très bien Pierce…

Geneviève Feixas : on le reprendra lundi, parce que là…du coup… on est un peu… ça vaudrait le coup.

MB : rires… oui oui on reprendra ça. On voit bien que la priméité, ça va… mais c’est la priméité de la tiercéité qui ne va plus.

ML : oui, tout à fait. C’est ça. On pourrait presque dire, comme dit Maldiney : le délire nie le caractère de première fois de l’événement.

MB : ah ! ça, c’est bien ça. C’est l’évènement tel qu’il est dans la priméité de la tiercéité.

ML : oui, c’est ça !

MB : Pas n’importe quel événement ! C’est pour ça que la distinction entre les évènements, elle est là dessus.

ML : la première fois !

Didier Petit : dans un autre registre, est-ce qu’on pourrait parler des stéréotypies ?

ML : explique !

DP : par rapport au premier geste, qui nie l’évènement. Avant théoriquement, la première fois est niée par la stéréotypie

ML : oui !

MB : et qui est l’invention d’une forme.

ML : oui. Lui, il va souvent commenter le maniérisme. Où le maniérisme, c’est toute cette thématique de la métamorphose qui s’est condensée, immobilisée dans la pause. Il utilise comme paradigme de la pause de quelqu’un qui dans un atelier ou je ne sais pas quoi, va pauser comme modèle. Et bien, dans le maniérisme, on a cette structure du corps. La pause. Le personnage. Mais dans la stéréotypie, c’est la même structure. Le maniérisme et la stéréotypie ! oui oui. il dit : l’expérience psychotique atteste par là que l’événement requière la collaboration de celui auquel il arrive et qu’il est nullement, par rapport à lui, dans une totale passivité. Il sort à nouveau de la psychose là. C’est cette paradoxale capacité d’attente de la surprise avec Merleau Ponty, cette passivité de notre activité, ou avec Husserl, où Mélon, il est courageux quand même, il l’a édité, ce grand pavé, La synthèse passive de Husserl, tout ça c’est le même champ de travail,,, ou cette transpassibilité, c’est la terminologie de Maldiney, que traite pour lui la phénoménologie, l’objet de la phénoménologie, c’est le traitement du transpassible.

Donc, sa thématique, c’est toujours le dépassement de l’oppositionnel, le passif et l’actif. Si Maldiney a forgé ce terme de transpassibilité pour retrouver la manière – et là il retrouve Tosquelles- dont l’humain retrouve sa transcendance, ou plus simplement son dépassement, ce n’est pas la transcendance scolastique, en tant qu’elle implique une réceptivité et la première pathologie de la transcendance, c’est l’ambivalence ; quelqu’un qui ne peut pas se dépasser, c’est quelqu’un qui est dans le doute… oui non … oui non… c’est une thématique de ne pas pouvoir se dépasser et qui s’arrête à l’ambivalence. L’échec de la transcendance. … donc en tant qu’elle implique une réceptivité, c’est pour indiquer que la réceptivité doit être comprise comme une passibilité. Et passibilité veut dire simplement une capacité de pâtir et de subir au sens où elle implique une activité immanente à l’épreuve. Qu’est ce qui fait qu’il y a des gens qui s’en sortent d’un événement impossible… perdre un enfant… c’est impossible… et bien, grâce au transpassible, on peut… être réceptif à ce qui nous arrive. Et ça ouvre le champ-même à la réceptivité. C’est cette ouverture et cette capacité d’attente indéterminée qui manque dans la psychose. Et de là, chez nous on fait toujours la différence entre erwartung, et  entwartung.

Et toi, hier, avec ton patient, quand tu disais que tu en avais marre qu’il ne te parle que du valium, et le valium ceci, et le valium cela et que tu disais, il me réduit à entendre ces conneries sur le valium non, je veux être psychothérapeute, je veux être psychanalyste et je veux aller là où ça se passe ! Non ! Nooooon….. Non ! Est-ce qu’on peut partager l’attente indéterminée ? Et quand nous, dans notre pratique quand même, à La Borde, on voit le malade 5-6 fois par jour quand il faut. Il ne se passe rien… rien ? Ce rien ! Deux minutes, trois minutes… et ce n’est pas la coupure lacanienne… dans le sens où ah ah ah… les séances courtes pour que ça émerge les conneries… non ! C’est partager cette attente indéterminée. Et peut-être comme on dit, un jour, on va s’ennuyer ensemble. Aaah ! Grosse victoire.

Et c’est aussi dans ce contexte là qu’il rencontre Pankow. Ils étaient très bien ensemble. Il y a avait un respect absolu entre eux, chacun dans son for intérieur, dans des échanges de lettres, par trop dans la conversation et … c’est Maldiney qui me l’a dit… ils étaient très réceptifs l’un pour l’autre. Et Pankow utilisait la philosophie de Maldiney et lui il utilisait les techniques qu’utilisait Pankow dans ce partage de l’attente pour faire émerger quelque chose au niveau de l’espace… pour approfondir sa propre pensée. Donc, il y avait entre eux quelque chose de très fort. Elle commente elle aussi, dans Structure familiale et psychose,  à la fin, dans l’annexe, elle commente des textes de Maldiney. C’est donc bien cette capacité d’être en prise sur les choses qui fait défaut dans la psychose. Et à partir de là, cela se traduit dans une incapacité d’habiter le monde et d’habiter son propre corps. L’événement par excellence est la rencontre. Et c’est la fin de l’article du transpassible. Il n’y a de rencontre que de l’altérité et elle (l’altérité) est toujours imprévisible. Ce qui caractérise en effet l’existence est sa transcendance. Cette capacité de dépassement. Cette capacité de l’imprévisible. Donc, la transpassibilité  est plus que la simple passibilité. Elle est ouverture. C’est peut-être le mot qui va le mieux avec le transpassible. L’ouverture avec l’évènement hors attente. Je ne trouve pas de meilleure transcription que celle –là et qu’on retrouve passage 421-422. La transpassibilité consiste à n’être passible de rien qui puisse se faire annoncer comme réel ou possible. Elle est une ouverture sans dessein ni dessin, à ce dont nous ne sommes pas a priori passibles. Elle est le contraire du souci. La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, n’a souci que d’elle même… elle existe pour rien. Pour le rien qui la libère de toute attache préalable à l’étant et qui signifie en elle que son existence est originaire. La transpassibilité sans souci implique l’insouciance qui est le contraire de l’esprit de poids, le contraire de la Schwermut qui tend vers le fond dans un rapport obscur.

Amen.

La transpassibilité implique une ouverture absolue de tout projet.