Perpignan, le 12 septembre 2020 – Marc Ledoux

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L’anthropopsychiatrie racontée à Noémie 

– 2 – Les verbes dans les trois mouvements de la vie

Marcher-jeter-sauter 

marcher jeter sauter
Base Fondement Origine
foyer objet sujet individu
Vecteur C 

Contact

Vecteur S

Sexuel

Vecteur P

Paroxysmal

Vecteur du Moi

Sch

facteur m facteur d facteur h facteur s facteur e facteur hy facteur p facteur k

Marcher

Je marche. Deese fait une analyse phénoménologique du fait de marcher. Il y a cet auteur, David Lebreton, qui analyse la marche dans l’athlétisme, qui est une discipline très compliquée car tu dois toujours avoir un pied en contact avec le sol. C’est presque de l’ordre phénoménologique, si vous connaissez Husserl, de la constitution interne. La constitution n’est pas un terme médical, mais il a été récupéré par la médecine, la constitution génétique, la constitution psychique, caractérologique […] 

Deese dit que le mot constitution est le fait de la marche. Je constitue la base en opposition avec la stase ; en contraste. La stase, ça veut dire que ça s’arrête. Ça s’objective. C’est à dire qu’il y a un rapport entre moi et l’autre que je mets en face de moi, (alors que le travail clinique, c’est d’être auprès de, dans les entours, et pas en face, il ne faut pas observer, il ne faut pas décrire, mais être présent au bord du lit). Être en face, c’est la stase. Alors que la base, comme marcher, c’est trouver un appui qui nous donne appui. Comme la marche d’un escalier. C’est un appui qui fait que je marche, c’est une dialectique entre l’appui et s’appuyer. 

Deese pose la question de là où cette dialectique se casse, là où ça s’effondre. Fonder, se fonder, ça veut dire trouver un appui mais aussi se fondre, s’effondrer. Deese repère que dans Théorie de l’intuition de Husserl, il y a la réflexion sur le cristal de Freud (alors que Husserl n’avait pas lu Freud !). Comment Deese, ce génie, a-t-il trouvé ça ? Deese dit alors que marcher constitue la base. Et cela permet à Schotte (qui aimait beaucoup Deese) de remplacer le mot constitution par destin. (On n’a plus une approche organo-dynamique à la Henri Ey que tous les Français du monde portent en eux et où tout doit être intégré. Cela ne doit pas être facile pour les Français avec toutes ces pensées dispersées […])

La base devient la dimension primordiale, archaïque de la vie. Est-ce qu’il y a dans la vie quelque chose qui me donne un appui, sur quoi je peux marcher, sans tomber ou s’enfoncer ? Est-ce qu’il y a une psychopathologie fidèle à l’image du cristal qui nous fait découvrir le statut de la base dans la vie ? Là où ça ne tient pas, où l’appui ne tient pas, où il y a un travail d’appui à faire, pour construire des marches […] parce que c’est facile de dire à quelqu’un d’aller dans un centre de cure, mais si il n’y a pas d’appui…, par définition le sujet va s’effondrer.

Toute cette psychopathologie a à voir avec la racine du mot et son étiologie : manie. Manie c’est un miracle de la langue, c’est intraduisible. Et comme c’est intraduisible, on essaye de le remplacer par des conneries : dépendant, addict… et c’est foutu ! Toute la richesse, la fragilité, la précarité de cette première dimension de la vie est écrasée, tout ce travail de base n’est pas reconnu.

Jeter

C’est typiquement le mouvement de clivage entre celui qui jette et ce qui est jeté. C’est typiquement le clivage sujet-objet. C’est typiquement la dynamique de tout ce qui a été substantifié dans des concepts de défense, comme la projection par exemple. C’est un concept substantivé et on va essayer de mettre ensuite un peu de mouvement. Anzieu – c’était un spécialiste de la projection et du Rorschach – a essayé de mettre de la kinesthésie dans la projection. Sami-Ali, son livre sur la projection vaut le coup. Mais ils sont toujours en retard car ils ne veulent pas accepter que la langue est dynamique et en mouvement. Freud, lui, refusait de situer le clivage à cet endroit. 

C’était une dispute entre Mélanie Klein et Szondi. Où est-ce qu’on situe le clivage ? C’est après une discussion avec Szondi que Mélanie Klein a dit que l’archaïsme de l’être humain, c’est le clivage. Et après elle a développé son délire, comme du légo, comment on va mettre toutes ces petites pièces de clivage ensemble, un puzzle pas possible […] pour chercher comment le puzzle est fait, tu ne peux pas vraiment jouer avec, finalement, elle va faire comme les autres, elle va observer l’enfant qui joue. Tu t’imagines un peu ? Tu vois un enfant en thérapie et tu l’observes quand il joue au lieu d’essayer de jouer avec lui. C’est quoi ça ? Szondi dit qu’elle a installé la perversion dans le jeu d’enfant. Il dit : « la perversion doit être une structure humaine. » Le clivage, c’est l’effet du mouvement de jeter. 

Schotte aimait bien le sport, il était accro, il ne pouvait pas se détacher d’un match de foot et il s’est beaucoup inspiré du sport. Dans l’athlétisme, il y a beaucoup de disciplines avec le jet : javelot, marteau, poids, disque… , c’est là où il a trouvé une phénoménologie du mouvement de jeter. L’objet compte. C’est là où l’objet est important. Ce n’est pas pareil de faire du javelot, du poids, ou du marteau…

Colin : sur la notion de jeter, je suppose qu’il y avait aussi toute l’influence de Maldiney…

Marc : après, après !

Colin : donc, c’est arrivé plus tard ?

Marc : oui. Donc s’installe là le rapport sujet/objet. On arrive dans la langue à nouveau dans le sujet et le prédicat représentatif. Par exemple, ils ont mis des années pour trouver des critères qui correspondent à la discipline de la marche et pour exclure les personnes dont la plante des deux pieds quitte le sol en même temps. C’est une discipline extrêmement difficile, tu ne peux pas « voler ». C’est la définition de Binswanger de la manie. Un maniaque ne peut pas marcher. Il vole. Il quitte le sol. Comme le dit Prévert, c’est les pieds qui pensent. C’est vrai. Donc c’est Deese qui dit tout ça, le rapport avec la constitution, jeter, le mouvement qui va installer quelque chose de psychique qui n’est pas substantifié. 

Jeter, c’est tout ce qui a à voir avec la deuxième et la troisième dimension de l’anthropopsychiatrie, avec le fondement. Les fondations, ce n’est pas la base, et c’est ce qui va permettre de tenir la construction de quelque chose. Qui va donner accès à comment est faite la base. L’image classique, c’est l’enfant qui va déterminer quelle est la structure, l’humus, la qualité de cet homme et de cette femme qui sont devenus parents. Est ce qu’ils auront la possibilité d’être tiers ? Dis-moi comment tu fonctionnes comme papa et je te dirai quel homme tu es. Schotte a utilisé l’image de l’enfant, de la cathédrale, etc.

Sauter

Le saut en hauteur ! Superbe ! Et en largeur, le saut en largeur ! Et le triple saut. Tout ce qui est dynamique. C’est très beau !

Deese nous propose de reprendre Kierkegaard. Dans le saut à la perche, comment le sauteur s’érige, se détache, à 6 m ; Deese dit que ce moment de suspension dans le saut, c’est la foi. On n’est plus lié à rien. C’est la phénoménologie de sauter. Je me détache et je me risque. C’est une possibilité humaine dit Kierkegaard de se laisser aller à quelque chose dont on ne sait rien. Et une fois qu’on est dans ce mouvement-là, on doit retourner sur terre. On ne peut pas rester suspendu sinon… si on cherche un appui dans la suspension, c’est la mort. Se pendre. 

Deese faisait des séminaires, il préparait ses cours sur des petites fiches qu’il ne donnait à personne. Il n’a jamais fait un polycopié. Jamais. Schotte s’est toujours glorifié de l’avoir enregistré sinon on n’aurait aucune trace. Jusqu’à présent la femme de Schotte s’est toujours opposée à toute publication, mais maintenant qu’elle est morte, plus personne ne s’y intéresse et on va voir si quelqu’un va s’en occuper. 

Dans les enregistrements, on entend Schotte qui demande (Schotte était très respectueux vis à vis de Deese qu’il le comparait à Hegel) : « mais, je ne comprends pas bien, tout ce mouvement de suspension dans le sauter, est ce qu’un d+ dans le contact risque de faire un raptus mélancolique, c’est à dire, je quitte la terre, je quitte la familiarité, je quitte cette illusion de retourner chez soi (d-). d+, c’est hypomaniaque, le plaisir, la légèreté de ne plus porter la lourdeur de la vie quotidienne ; mais quand d+ s’accentue, je me suspends, mais je n’ai plus de repères dans cette suspension, sauf peut-être dans un rêve : je m’accroche à un avion, je m’accroche à un nuage comme dans les contes d’enfants, comme dans le Petit Prince… » 

Mais quand tu es dans une inhibition comme nous tous et que tu es un normopathe, on n’est pas tous des enfants, y a-t-il un risque ? Et Deese dit oui, il y a un risque… Donc, attention au retour dans le mouvement de sauter, se suspendre, se pendre… 

Le vrai sauter, c’est un moment original. Très différent du jeter qui est un mouvement de clivage. Dans le marcher, je ne quitte pas le sol. Dans le sauter, je fais partie de l’inconnu de la vie.

Geneviève : et courir ? C’est à la fois un moment de suspension et de base.

Marc : oui, il ne l’a pas mis dans la triade. Mais ce n’est pas tout le corps qui se suspend. Ce sont les pieds. Il va retrouver le mot courir dans la langue : discourir : blablabla. Papoter. C’est courir avec les mots. On ne dit rien et on ne parle pas. 

Schotte, en accord avec Deese, lie le sauter à l’origine. Origine, c’est la même chose qu’originaire. Quelque chose de singulier qui définit la différence absolue entre chacun de nous. Comment est-ce possible que ces milliards de gens aient chacun quelque chose de singulier ? Eh bien, c’est par le saut, la question de l’originalité. 

Marcher : c’est toute la vie en étant petit

Jeter : toute la vie pour montrer à l’autre qu’on a quelque chose de particulier : avoir ! Ce que j’ai que toi tu n’as pas et que tu aimerais avoir. C’est l’homme de tous les jours, dit Szondi. On ne sait jamais combien ça coûte d’être riche. Quand on n’a pas la richesse de l’âme, on a la richesse des biens accumulés. L’homme de tous les jours figé dans l’avoir. 

Sauter, c’est se détacher de ce sur l’on a. Celui qui a le mieux définit l’être, c’est Heidegger : ex-ister, avoir sa tenue hors de soi. Tu seras vraiment mis à l’épreuve dans ta vie personnelle, quand tu seras confronté à quelque chose que tu n’as pas programmé, qui te surprend. Quand on tombe amoureux… ou l’inverse : une coupure amoureuse ! Il y a des moments dans la vie où on est suspendu à quelque chose qu’on ne connaît pas. 

Dans Psychose et présence, Maldiney écrit qu’il ne comprend pas que Foucault, qui était très fort en phénoménologie, très fort en Rorschach, qui a traduit Binswanger, Von Weizsäcker, qui était une bête de travail, et […] il était dans l’antipsychiatrie ! Maldiney dit que s’il y avait eu l’anthropopsychiatrie, il n’y aurait pas eu l’antipsychiatrie. La possibilité d’être dans le saut. Le psychotique dans sa souffrance, pas dans sa structure, marque à travers sa douleur, le problème énorme de l’origine, de l’originaire.

La théorie de l’identification chez Freud : c’est dans la thèse de Jean Florence qui est une thèse merveilleuse. Problématique de l’identification par rapport à l’origine. S’identifier à, mais est ce qu’il y a un moment où il y a quelque chose d’originaire, de suspendu ?