Leopold SZONDI.  L’homme et l’oeuvre.

Leopold Szondi est né le 11.3.1893, à Nitra, petite ville de l’ancienne Autriche-Hongrie, actuellement située en Slovaquie, à proximité de la frontière hongroise. Il est l’avant dernier de 13 enfants. Son père était un artisan, attaché aux principes de la religion juive traditionnelle. Lorsqu’il a 4 ans, sa famille s’établit à Budapest, où il accomplit toutes ses études jusqu’au doctorat en médecine. La grande guerre le voit soldat dans les rangs de l’armée austro-hongroise. A cette occasion, raconte Szondi, Freud lui sauva la vie, non en personne bien sûr, mais sous les espèces d’un exemplaire de la Traumdeutung qu’il portait enfoui dans son sac au dos et qui fut transpercé par un éclat d’obus. Cette anecdote nous indique au moins que le jeune Szondi connaissait Freud.

On peut penser que l’épreuve de cette guerre absurde n’a pas peu déterminé Szondi à poser au départ de son oeuvre la question du Destin, de la contingence et de la nécessité, de la liberté et du choix. De même, chez Freud, la guerre marque un tournant décisif : elle fait surgir Thanatos.

Rendu à la vie civile, Szondi termine sa spécialisation en psychiatrie et travaille d’abord au service du Professeur Ranschsburg, à Budapest, dans un laboratoire de psychologie expérimentale. Cet intermède ne sera pas inutile. Il en gardera le goût de la recherche empirique, des mesures et des statistiques.

Ses premières publications traitent de questions cliniques, surtout endocrinologiques. La maladie mentale l’intéresse très tôt, dans une optique organiciste.

On jugera de ses préoccupations majeures en considérant les titres de quelques unes de ses premières publications.  Ce sont notamment :

Débilité et sécrétions internes (1923)

Contribution à l’étude des réactions négatives et paradoxales à l’Adrénaline (1924)

Biologie du talent (1927)

Les réactions à l’ingestion de glucose chez les neurasthéniques (1929)

Révision de la question de la neurasthénie (1929)

Analyse constitutionnelle de 100 bègues (1932)

Analyse constitutionnelle des enfants psychiquement anormaux (1933)

Les erreurs diagnostiques et thérapeutiques en neuroendocrinologie (1933)

La névrose vue à la lumière des recherches psychanalytiques, neuro-endocrinologiques et génétiques (1936)

L’interprétation génétique dans la pratique (1936)

Pédagogie et prophylaxie des maladies mentales (1939)

 

De 1927 à 1941, parallèlement à sa pratique privée de psychiatre et d’endocrinologue, Szondi dirige un laboratoire de recherches psychopathologiques à l’Ecole Supérieure d’Orthopédagogie de Budapest.  Il s’intéresse de près aux grands thèmes de l’époque : endocrinologie, constitution, hérédité, comme en témoignent les titres de ses travaux.

Jusque là, on peut voir que Szondi s’est intéressé à des questions controversées, parce que situées aux frontières de plusieurs disciplines, jalouse chacune de sa spécificité. Par ailleurs, il utilise encore les outils classiques : observation clinique, dosages et mesures en laboratoire, calcul statistique …

Szondi est ouvert aux courants scientifiques les plus dynamiques de son époque. La médecine cherche encore à se fonder en science et trouve ses racines les plus sûres dans la biochimie, la physiologie, l’endocrinologie, l’anatomie pathologique… La génétique, pour sa part, se constitue en science indépendante. C’est l’ère des grandes enquêtes généalogiques et des typologies constitutionnalistes (Sheldon, Kretschmer). Quant à la psychologie, elle sort lentement du carré de misère où la contraignaient les postulats associationnistes, réflexologiques ou perceptivo-cognitifs. Le « vécu » retrouve ses droits, sous l’influence des phénoménologues et, surtout, des psychanalystes.  Face à ces courants variés, Szondi fait preuve d’une ouverture totale, sans jamais tomber pour autant dans l’éclectisme. Intégration, ce concept-clé de sa pensée, restera toujours sa devise.

Bien qu’il ait vécu à Budapest dans les années fécondes où Sandor Ferencsi réunissait autour de lui une pléiade de pionniers de la psychanalalyse qui deviendront célèbres, il semble que les contacts de Szondi avec la psychanalyse se soient limités à la fréquentation d’Imre Hermann. Les deux hommes avaient le même âge et partageaient une même passion pour la psychopathologie, en référence à la psychanalyse en plein essor mais pas seulement à la psychanalyse. Szondi ne commencera une pratique privée de psychanalyste que tardivement, après son exil en Suisse, soit après l’âge de 50 ans. A partir de ce moment, la métapsychologie freudienne deviendra sa référence principale. Mais il est important de noter qu’au départ, l’influence psychanalytique n’a pas été déterminante et s’est faite pour l’essentiel par le canal d’Imre Hermann, l’ « ermite de Buda », celui que Freud avait appelé « notre philosophe ».

C’est vers le milieu des années trente que s’élabore le projet du fameux « test ». Au départ, ce devait être un simple outil destiné à l’enquête généalogique.  Mais, bientôt, il s’avéra qu’il pouvait se prêter à d’autres usages.  Szondi mène alors de vastes enquêtes généalogiques dont l’ampleur est considérable. Il ne se borne pas à repérer tel ou tel syndrome psychiatrique pour chercher à élucider son mode de transmission propre. D’emblée, ses vues sont plus vastes. Ce qu’il remarque, c’est que dans la constellation familiale d’un épileptique, par exemple, il y a toujours plus d’énurétiques, d’asthmatiques, de migraineux, de criminels, de prêtres et d’hommes de loi que dans l’entourage d’un schizophrène ou d’un maniaque. D’autre part, les sujets de ces familles choisissent préférentiellement comme conjoints ou amis, des personnes qui présentent des dispositions pulsionnelles analogues.

Ce qui est transmis génétiquement, affirme Szondi, ce n’est pas la maladie mentale-entité, mais le faisceau des dispositions pulsionnelles (géniques) qui la sous-tendent, et dont l’expression (phénotypique) dépend de facteurs quantitatifs et non qualitatifs.

Il y aura des sujets malades (homozygotes) et des sujets sains (hétérozygotes) mais ces derniers seront cependant toujours porteurs d’un gène morbide latent, lequel ne reste pas inactif et détermine notamment le choix d’objet en amour et en amitié (libidotropisme), de même que le choix d’une profession (opérotropisme), du genre de maladie (morbotropisme) et du genre de mort (thanatotropisme). Szondi désigne du nom de génotropisme le processus suivant lequel la force latente de certains gènes poussent a se rencontrer les individus pourvus d’un même bagage génétique. Il appelle inconscient familial la partie de l’inconscient qui contient les aspirations et les exigences ancestrales (Ahnenansprüche) supportées par les gènes.

Le grand mouvement amorcé par Freud  visant à relativiser les différences entre le normal et le pathologique, trouve chez Szondi une forme d’aboutissement, dans la mesure où le sol de la psyché s’y constitue de l’ ensemble des gènes pulsionnels tous potentiellement morbides. Ce n’est pas que Szondi nie la maladie mentale, bien au contraire. Mais il l’inclut, à part entière, dans sa visée globale de l’homme. La perspective anthropologique est toujours et partout présente chez Szondi.

En 1937, Szondi fait paraître son premier ouvrage traitant du choix d’objet. C’est « Analysis of Marriages.  An Attempt at a Theory of Choice in Love », où il développe pour la première fois sa théorie du génotropisme.

Au début de la guerre, les persécutions dirigées contre les Juifs lui font perdre ses fonctions officielles. En 1944, il est déporté à Bergen-Belsen, d’où il gagnera la Suisse. Il y résidera jusqu’à sa mort, survenue à la maison de repos de Kussnacht, près de Zürich, le 16 janvier 1986. Il avait près de 93 ans.

La plus grande partie de ses documents généalogiques ont disparu dans la tourmente.  Avec ce qui lui reste de matériel utilisable, il publie fin 1944 son premier grand livre, la « SCHICKSALSANALYSE » (Analyse du Destin). Il y résume sa théorie génétique du destin, de la destinée du choix en amitié, en amour, dans la profession, la forme de maladie et le genre de mort. « Schicksalsanalyse », tel est désormais le nom de baptême de la discipline et de la doctrine fondées par Szondi. Elle traite avant tout de l’ « inconscient familial » que Szondi situe entre l’inconscient personnel de Freud et l’inconscient collectif de Jung. D’une certaine manière, par l’intérêt qu’il porte à la constellation familiale élargie, Szondi apparaît comme l’ancêtre de l’analyse systémique. Mais plus fondamentalement, le terme de « destin » connote le fait qu’il s’agit avant tout de la question de l’homme « en tant qu’homme » car seul l’homme a un destin, compromis entre les pressions que lui imposent la nécessité, les lois de la nature et de la société d’une part et le fait qu’il n’est pas entièrement déterminé par ces lois d’autre part, autrement dit : l’homme est voué, voire « condamné », selon l’expression de jean Paul Sartre, à la liberté.

Dans la suite, les grands ouvrages se succèdent à un rythme soutenu. Ce sont :

Le « LEHRBUCH der EXPERIMENTELLEN TRIEBDIAGNOSTIK » (Diagnostic expérimental des pulsions) publié en 1947 et réédité en 1960 et 1972.  La traduction française de la première édition a paru aux Presses Universitaires de France en 1952. C’est le livre de base, celui où Szondi présente sa doctrine ( Lehre) et expose les règles de l’interprétation du test et les principales significations des résultats empiriques.

La « TRIEBPATHOLOGIE » (Pathologie des pulsions, 1952), où Szondi tente d’élucider, par la méthode clinique et expérimentale, la psychopathologie des névroses, des perversions, des psychopathies et des psychoses.

La « ICH-ANALYSE » (Analyse du moi , 1956) qui entreprend de fonder une théorie originale et systématique du moi et de ses fonctions.

La « SCHICKSALSANALYTISCHE THERAPIE » (Thérapeutique selon l’Analyse du Destin) parue en 1963, où Szondi propose à côté de la psychanalyse classique, adaptée aux variétés traumatiques- historiques de la pathologie névrotique, sa méthode de traitement « actif » des troubles héréditaires des pulsions et du moi.

Ayant terminé son grand oeuvre, Szondi se consacrera désormais à la rédaction d’ouvrages ressortissant au domaine de la philosophie morale. Ses grands thèmes sont : la liberté et la nécessité, la volonté, la loi et le mal. En 1968, il fait paraître « Freiheit und Zwang im Schicksal des Einzelnen » (Liberté et contrainte dans le destin des individus), en 1969 « Kain.Gestalten des Bösen » (Caïn. Figures du mal) et en 1973 : « Möses. Antwort auf Kain » (Moise. Réponse à Cain). En 1980, Szondi fera encore paraître deux livres, « Die Triebentmischten » ( Les désintriqués pulsionnels) et « Die Triebvermischten » (Les intriqués pulsionnels), où il réaffirme l’importance de la notion de clivage pulsionnel.

Addendum. En 1991, à la demande de « L’Evolution Psychiatrique », nous avons écrit un court article intitulé : « Position de Szondi », qui ne contredit pas notre introduction de 1974 reprise ci-dessus mais qui précise certains points importants. Nous le reproduisons ci-après.

Nicolas Abraham, qui fut son compatriote, a dit un jour de l’oeuvre de Szondi : « Ce n’est pas tout à fait de la psychanalyse, mais, comme traité de psychiatrie, c’est le seul qui vaille la peine d’être lu ».

Cette phrase d’humeur mérite qu’on lui fasse un sort, dans le bon sens du terme. Elle situe assez bien la position de Szondi.

Si l’intuition du schéma et du « système pulsionnel » (Triebsystem) appartient en propre à Léopold Szondi – qui a toujours déclaré ironiquement l’avoir découvert en rêve – l’élaboration du test fut le produit d’une oeuvre collective. En effet, dans les années 30, Szondi était entouré d’une équipe de jeunes chercheurs aussi brillants qu’enthousiastes. L’ouvrage de Susan Deri (1949) témoigne de ce bouillonnement intellectuel. On notera que Susan Deri n’avait que 25 ans lorsqu’elle écrivit sa magistrale « Introduction to the Szonditest ».

Il est toutefois nécessaire de rappeler que, parallèlement à cette activité universitaire intense, Szondi a continué d’exercer la pratique privée de psychiatre et d’endocrinologue qui constituait son gagne-pain.

On imagine volontiers qu’il a subi l’influence, et bénéficié de l’effervescence intellectuelle du cercle célèbre des premiers psychanalystes hongrois, « enflammés » par le génie de Sandor Ferenczi.  Mais on ne sait rien de précis à ce sujet, sinon que son principal contact avec la psychanalyse passait par Imre Hermann. Il est incontestable qu’il y a chez Szondi une préoccupation anthropologique fondamentale. C’est sans doute pourquoi son oeuvre a, jusqu’ici, trouvé un écho plus favorable chez les philosophes (Henri Niel, Alphonse De Waelhens, Henry Maldiney) que chez les psychanalystes et chez les psychiatres, qu’elle interpelle pourtant au premier chef. Il est remarquable qu’Henry Maldiney, un des penseurs les plus extraordinaires de notre temps, ait d’emblée adopté le système szondien comme référence théorique majeure, sans émettre à son égard la moindre critique.

Freud, on le sait, était allergique à l’esprit de système, jugé suspect de paranoïdie. Il s’est toujours refusé à dénombrer les pulsions, se limitant à un dualisme (trop) simple : pulsions sexuelles/pulsions du moi et pulsions de vie/pulsions de mort, avec les topiques qui leur correspondent et qui sont tout aussi peu satisfaisantes : inconscient/préconscient/conscient et ça/moi/surmoi. Ce parti-pris d’indétermination le conduit nécessairement à reconnaître que «ce qui manque le plus à la psychanalyse, c’est une doctrine des pulsions» (1927). Mais comment pouvait-il en être autrement, du moment qu’il avait proclamé : «La doctrine des pulsions est notre mythologie», abandonnant lesdites pulsions à leur «indétermination grandiose» ? Cette ambiguïté n’est pas étrangère au flou conceptuel dans lequel continuent de baigner un grand nombre de notions psychanalytiques.

Or, c’est ce but précis qui a été visé par Szondi. A travers la constitution de son schéma pulsionnel, il a eu l’ambition de produire une authentique «doctrine des pulsions » (Trieblehre). Il l’affirme explicitement dans l’introduction de la première édition du «Traité du diagnostic expérimental des pulsions» (1947) : «Un système pulsionnel doit nous donner une vue synthétique de l’ensemble de la vie pulsionnelle, comparable à l’impression globale que nous donne la lumière blanche, mais il doit également permettre d’étaler le «spectre» des pulsions tout comme la lumière est décomposable en ses couleurs. C’est là une tâche fort difficile et il n’est point étonnant qu’on n’y soit pas encore parvenu».

Curieusement, cette proclamation ambitieuse ne figure plus dans la deuxième édition (1961). Que s’est-il passé entre, disons, 1940 et 1960 ?

Szondi a été chassé de l’Université en 1941 par le régime pronazi de l’amiral Horti.  Du même coup, il a perdu ses premiers disciples, dont Susan Deri qui émigre aux Etats-Unis en 1940.

En 1944, Szondi est déporté à Bergen-Belsen. En 1945, il s’exile en Suisse où, après un bref passage à la clinique autrefois célèbre des Rives de Prangins, il s’installe à Zürich pour y entamer une pratique privée de psychanalyste. La «Schicksalsanalyse», qui rassemble l’essentiel de ses travaux généalogiques, a paru à Bâle en 1944 chez Benno Schwabe. En 1947, il fait paraître le «Traité de diagnostic expérimental des pulsions» à Berne, chez Hans Huber qui restera son fidèle éditeur.

Au début des années 50, fleurissent d’est en ouest et de l’Oder à Tokyo, une bonne centaine de publications, les unes enthousiastes, les autres destructrices, mais toutes, sans exception, consacrées au problème de la validité du test en tant qu’instrument de diagnostic psychiatrique.

Le modèle théorique que le test reproduit exactement dans sa facture n’est interrogé par personne. «Zeitgeist» ! C’est l’esprit de notre temps, soupira Szondi. On vérifie tout, mais on ne sait plus ce qu’on vérifie ni pourquoi. «La question de l’être est aujourd’hui tombée dans l’oubli», soupirait de même Heidegger quelques années plus tôt. On touche ici du doigt la carence épistémologique de la psychiatrie moderne, écartelée entre l’empirisme thérapeutique vigoureusement soutenu par le complexe médico-industriel et la refonte désespérante, voire exaspérante de ses systèmes classificatoires, tous purement descriptifs et de plus en plus descriptifs (cf. le DSM IV qui ne satisfait personne sauf ses éditeurs), sans que personne ne s’avise de la nécessité d’élaborer et fonder une pensée théorique digne de ce nom, c’est-à-dire une psychiatrie théorique au sens où le psychiatre et le psychologue pourraient l’invoquer au même titre que n’importe quel physicien est en mesure de se référer à la physique théorique par exemple.

Certes, l’idée n’est pas nouvelle. Cette ambition a nourri toute l’entreprise scientifique d’un Sigmund Freud et d’un Henri Ey, pour ne citer que deux auteurs parmi les plus connus. Mais c’est peu dire qu’entre la métapsychologie et l’organo-dynamisme le courant n’est jamais passé vraiment. L’auteur le plus préoccupé par cette question fut sans doute Ludwig Binswanger  mais son entreprise a tourné court. Le courant phénoménologique né dans les années vingt est aujourd’hui presque tari, signe patent de la pauvreté intellectuelle de notre temps.

C’est ici que Szondi intervient, à condition qu’on le comprenne bien, c’est-à-dire autrement qu’il s’est compris lui-même, et qu’on lui pardonne son dogmatisme génétique qui le ferait ranger, sans autre forme de procès, dans le camp des organicistes les plus radicaux, comme le rejeton le plus étrange des théories de la dégénérescence  héritées du dix-neuvième siècle.

On a peine à croire que le même homme, dans le temps même où il produisait le schéma pulsionnel, création révolutionnaire, se faisait par ailleurs le champion d’un génotropisme pour le moins contestable, en référence à une génétique mendelienne primitive. «Analysis of marriages» (1937) fournit l’illustration désastreuse des préjugés de son auteur.

Nous dirions volontiers que le génie est à ce prix. Szondi lui-même devait en être vaguement conscient puisque, de son propre aveu , il a songé un temps à inclure le couple génie-débilité dans son schéma.  S’il s’est résolu à l’éliminer, c’est, aimait-il à répéter, qu’on ne peut être génial sur un point sans être bête sur un autre, mais que ça vaut pour tout le monde et que ça traverse toutes les pathologies. Freud aussi répétait volontiers que la bêtise faisait partie de notre patrimoine phylogénétique et que c’était parfois bien utile.

Il faut pouvoir reconnaître qu’en dépit de ses postulats génétiques hautement contestables, Szondi a réussi, volens nolens, à produire ce qui pourrait bien être le tableau de Mendeléev de la psycho(patho)logie, soit le tableau périodique des éléments qui composent les monades étranges que nous sommes.

Mais revenons à l’histoire. A Zürich, Szondi a trouvé de nouveaux disciples, mais ce n’était plus du tout les mêmes. Quelques-uns se sont attelés avec un certain brio (Ulrich Moser, Armin Beeli) à perfectionner l’outil en tant qu’instrument diagnostique, d’autres à « marier » les szondiens avec les voisins, les freudiens, les jungiens, les daseinsanalystes, etc. et Szondi leur a pour ainsi dire emboîté le pas, ce dont témoignent ses oeuvres ultérieures : la Triebpathologie (1952), la Ich-Analyse (1956), dédiée à la mémoire de Freud pour le centième anniversaire de sa naissance, et la Schicksalsanalytische Therapie (1963), livres importants sans doute et dignes d’être lus, au sens où l’indiquait Nicolas Abraham, mais où le dialogue avec la psychiatrie et la psychanalyse de son temps prend le pas sur un approfondissement théorique qui ne viendra plus.  Szondi qui se voulait un jeteur de ponts (Pontifex) en sera mal récompensé, les autres, déjà prospères ou préoccupés de leurs querelles intestines, n’ayant que faire de cet oecuméniste magyar.

En 1969, Szondi fut gratifïé d’un legs considérable qu’il devait consacrer à la fondation d’un Institut destiné à former des psychothérapeutes. L’enseignement qu’on y a dispensé depuis n’était pas sans valeur, mais c’est peu dire que les théories szondiennes y étaient laissées dans l’ombre.  On en parlait bien un peu, mais seulement de peur que le « patron » ne s’aperçoive qu’on faisait tout pour faire oublier son existence. Se présenter comme szondien n’a jamais fait recette. Szondi qui, faut-il le dire, avait atteint les 80 ans, n’avait d’ailleurs pas de réel pouvoir dans l’institution qu’il avait lui-même fondée. Grâce en soit rendue à Jacques Schotte, il fut quand même nommé Docteur Honoris Causa des deux prestigieuses Universités de Louvain (1969) et de Paris (1979). Ils sont nombreux hélas, ceux qui ayant largement bénéficié de l’inspiration szondienne, ont ensuite jeté le maître aux orties pour la seule raison que mentionner Szondi, c’est courir le risque de voir sa carrière universitaire définitivement brisée.

«Le» Szondi serait sans doute depuis longtemps oublié si le schéma pulsionnel n’avait rencontré en Jacques Schotte le seul esprit qui, en son temps, l’ait véritablement pris au sérieux.

Quand il rencontre Szondi à la fin des années cinquante, Schotte entreprend de convaincre le maître de l’excellence de sa découverte.

Malgré qu’il ait toujours fait montre d’un style hyperassertif, Szondi doutait foncièrement de la valeur intrinsèque de sa vision théorique.  Ceux qui l’ont connu savent à quel point il possédait les qualités juives de l’humour et du scepticisme, y compris et même surtout à l’égard de son oeuvre.

Le style dogmatique de Szondi, qui lui a fait tellement de tort, nous apparaît comme le contre-poids malheureux de son incertitude épistémologique.

Il aura fallu toute l’énergie de Schotte pour convaincre Szondi lui-même qu’il avait découvert le meilleur modèle possible pour penser le champ psychopathologique dans sa spécificité propre, que le modèle szondien avait cette qualité tout à fait inédite, d’être un modèle «auto-logique».

La confrontation Szondi-Schotte aboutira à la publication de la «  Notice pour introduire le problème structural de la Schicksalsanalyse » (1964) qui est un manifeste. Une aventure intellectuelle commence. Elle se poursuit aujourd’hui sans bruit,  mais avec une vigueur qui vaut bien celle de l’Ancêtre.

 

Bibliographie

 

Richard A. HUGHES (1998). The Tragedy of the Szondis.  Szondiana, 18, 1, 37-52.

Dino LARESE (1976). Leopold Szondi. Eine Lebenskizze. Amriswiler Bücherei. Postfach 15, CH-8580 Amriswil, 84 pages. Ce petit livre est particulièrement riche en anecdotes sur la vie de Szondi. Il contient par ailleurs la biograhie complète de tous les écrits de et sur Szondi – y compris ceux des adversaires les plus acharnés –   depuis les origines jusqu’en 1975.

Jean MELON (1991). Position de Szondi. L’Evolution Psychiatrique, 56, 3, 525-530.

Jacques SCHOTTE  (1971). Présentation du Docteur Leopold Szondi. Revue de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université Catholique de Louvain, 6, 4, 419-427.

Jacques SCHOTTE (1987). Leopold Szondi. Universalia 1987. Repris dans le « Dictionnaire de la Psychanalyse »,  Paris, Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 1997, 843-846.