Perpignan, le 12 septembre 2020 – Marc Ledoux

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L’anthropopsychiatrie racontée à Noémie 

5- Les verbes qui vont définir, délimiter chaque zone de la vie : le vecteur du moi, le vecteur SCH

L’anthropopsychiatrie, ça tient ou ça ne tient pas, c’est une hypothèse très fragile, c’est peut-être pour ça que les personnes ne s’y mettent pas… la quatrième dimension. Déjà, vous lui donnez une place topique dans l’ensemble, cela ne tient pas bien la route. 

Contact

C

Sexuel

S

Paroxysmal

P

Moi

Sch

Aller-venir Avancer -reculer Entrer-sortir Ouvrir-fermer

                                                           

Ontiquement, c’est le dernier vecteur, le 4ième vecteur, ontologiquement c’est le premier. Philippe Lekeuche dit qu’il se heurte toujours à cette même difficulté, quand il fait des cours, des formations, il y a toujours cette question sur la différence entre ontique et ontologique. Alors, on peut dire que ontique, c’est le développement de quelqu’un, c’est la manière dont il est dans la vie, et ontologiquement, c’est la philosophie. 

La quatrième dimension, c’est la dimension de l’être humain dans son humanité propre, singulière, son style propre, son rythme propre On reconnaît quelqu’un à son style, à sa manière de marcher… le style, c’est la réponse à tous les identitaires. 

Est-ce que le style de quelqu’un est le marqueur de sa singularité ? peut-être que c’est par là qu’on peut combiner l’ontique et l’ontologique. Si on reste dans l’ontique, c’est le développement, et à un moment de sa vie, son « humanité » va se réaliser dans un projet. Avoir une finalité, l’assumer et le réaliser. On parlera d’autonomie. Une psychanalyse … quel est le critère pour finir une analyse ? l’analyse finie et infinie… ça peut durer 30 ans. Oury était fier d’être resté 30 ans chez Lacan.

Franck : oui, un jour, je lui ai demandé : « Jean, cela fait 20 ans que je suis sur le divan. Comment on fait pour arrêter ? » et il m’a répondu : « fais comme moi, attends qu’il meurt »

Marc : oui, c’est ça. Quels sont les critères ? souvent on dit qu’on se met d’accord quand on peut continuer tout seul. Donc quand l’enfant peut être seul dans sa chambre, c’est comme si il était passé par une cure analytique et qu’il assumait d’être une personne. C’est compliqué les critères. Freud n’a pas pu répondre. L’analyse finie et infinie. C’est peut-être le ras le bol de l’analyste. Ce serait un superbe critère. Mais comme on paye cher, il n’en a pas ras-le-bol. « oui..  il faut travailler le transfert… »  c’est un peu une caricature quand même. Mais Freud, il ose dire ça ! tu t’imagines ! ce type phobique qui pouvait dire qu’il en avait ras le bol ! mais il était aidé par ce génie qui était Ferenczi. Ferenczi disait « si je ne peux plus l’aider, comme me lever à 4h du matin pour lui, j’arrête. Je ne peux plus. Il m’a épuisé. … »  quel est le critère de l’arrêt de l’analyse ? est-ce que l’autre doit se réaliser dans son nom propre ? cela touche le bonheur. Ça pue le bonheur, ça pue le bien être. Ça pue l’autonomie. Si il y a bien une espèce au monde qui n’est pas autonome, c’est bien l’être humain. 

La lecture ontologique : tout ce qui est contactuel, sexuel, paroxysmal, c’est à moi que ça arrive. Le contact, une rencontre, un obstacle, un conflit… 

Ce n’est pas très clair. 

Freud était un génie de développer ses topiques. Inconscient, préconscient, conscient. Puis moi, surmoi, idéal du moi. Bravo Sigmund. 

Qu’est-ce qui fait qu’une personne a les outils pour s’obtenir soi-même ? Il commence la vie avec tenir, contenir, retenir pour pouvoir s’obtenir. C’est le même mot-racine que dans le contact. Tenir . Halt. Quelqu’un qui me tient, qui me prend en charge, qui fait que je me tiens moi-même et qui m’obtient. Qui assume qui se tient. Qu’il y tient. J’y tiens !

 

Antigone qui dit : je me fous des règles et des règlements. J’y tiens à enterrer mon frère parce que c’est mon frère. Et Lacan, dans son titre de séminaire extraordinaire, L’acte psychanalytique, (et pas la cure psychanalytique)… au fur et à mesure de sa vie, Lacan y arrive. Au début, il dit : oui, direction de la cure, variante de la cure… et puis après, l’acte psychanalytique. J’y tiens !. un acte psychanalytique, c’est quelqu’un qui peut poser de s’y tenir. C’est l’éthique de la vie. J’y tiens. J’ai décidé et j’y tiens. Superbe.

Qu’est-ce qu’a la personne humaine à sa disposition pour pouvoir cheminer à s’obtenir, à s’y tenir ? toute notre construction de l’anthropopsychiatrie tient avec cette question. Cela a à voir avec la psychose, le vecteur Sch, cela veut dire que cliniquement, quelqu’un qui tombe malade à la schizophrénie, cela se passe souvent à un moment où la personne se trouve confrontée à un choix personnel. En occident, on est encore tout petit, à 18-20 ans, et tu décides presque pour toute ta vie, au niveau du travail et au niveau de l’amour. A un moment donné, il y a une transformation à travers la séduction, on tombe amoureux. alors, là, c’est fini de s’amuser, quand il y a une rupture, la personne manque, l’absence. C’est l’autre qui me met en manque. Ce n’est pas la même chose que le manque toxicomaniaque de la dimension du contact. Être en manque de quelqu’un, c’est vraiment le signe qu’on est tombé amoureux. Ou alors dans la décision d’aller dans une certaine direction pour le choix de la profession. Cela se passe vers 18 ans. Et c’est là qu’il y a des décompensations psychotiques. 

Qu’est-ce que ça veut dire psychotique ? « qu’est-ce que ça vaut l’existence au niveau de l’amour ou du travail ? est-ce que je suis capable ? est-ce que c’est une potentialité en moi d’être réceptif à l’autre pour pouvoir être amoureux ? mais, l’autre, c’est qui ? c’est un bout de moi ? c’est un bout de mon grand-père que je vais idéaliser ? je peux être avec quelqu’un qui est différent ? 

La question de tous les jours du psychotique : est-ce que c’est possible que quelqu’un pleure à cause d’une rupture et ensuite une semaine plus tard, est avec quelqu’un d’autre… ? comment est-ce cela possible ? ça vaut quoi cette douleur ? ça vaut quoi cette joie de retrouver quelqu’un ? comment est-ce qu’on ne reste pas un moment en soi-même pour réfléchir, pour savoir où on en est ? c’est quoi l’autre, c’est qui l’autre ? c’est un objet qu’on peut changer comme un portable ? ça, c’est vraiment la question du psychotique. Être avec l’autre, comme le dit Gisela Pankow. 

Toutes ces questions sur l’amour et le travail sont des questions personnelles, qui touchent au concept de la personne. Schotte dit qu’il n’y a rien de plus personnel et humain que la question du psychotique. Freud dit non ! c’est la névrose. Mais nous, on est pas d’accord avec Freud et on dit qu’il n’y connaît rien. Freud n’a pas fréquenté les psychotiques. (il a fait la construction de la psychose sur seulement un écrit du président Schreber. Et à propos de l’observation de l’homme aux loups, il n’a jamais résolu si c’était une hallucination névrotique ou psychotique. Il ne l’a jamais résolu…)

La décompensation psychotique est une chose qui me rend profondément malheureux. La place que le psychotique nous donne, et qu’on prend : nous sommes des témoins. 

Sch
VGP k0 p0
EKP k± p±

Ils sont énormément fatigués. Ils dorment. Et c’est quand ils ne dorment plus qu’il peut y avoir une catastrophe. Ils sont énormément fatigués d’essayer de tenir. De tenir à l’école, à la maison, dans la rue (où il risque de tomber sur des choses auxquelles ils ne s’attendent pas), avec les amis, avec l’amoureux… c’est infernal. Et on n’y peut rien. Car ils essayent de tenir. Ils lisent énormément. Ça n’arrête pas de penser. Ça tourne en rond comme un carrousel. Il y a la dimension dépressive qui arrive. C’est la chose la plus difficile dans le travail d’être témoin de quelque chose où on n’a pas de prise. Quand doit-on intervenir ? au moment de la catastrophe ? dans la dépression, c’est plus facile. et dans l’anthropopsychiatrie, cette question : comment peut-on avoir accès à ce glissement  progressif vers la catastrophe. Tant qu’on n’en est pas là, l’anthropopsychiatrie n’est qu’un jeu intellectuel. On dit que c’est la clinique qui tient la route et on n’a pas accès à la clinique. Donc, le défi, c’est de continuer à réfléchir. 

Schotte avait compris en disant qu’il travaillait avec les médecins généralistes… mais c’était sur les troubles de l’humeur. Comme lui-même était maniaco-dépressif… mais il ne s’occupait pas de la psychose… c’était comme pour Freud, un jeu intellectuel. Et Szondi lui a souvent dit que l’épilepsie  était une zone dangereuse pour lui. Et quand Schotte (quand il est revenu du Machu Picchu) a eu un problème cérébral… il n’a pas voulu le reconnaître… 

Discussion autour de la problématique de Schotte… infarctus du cervelet ? 

Marc : il n’a pas voulu se soigner. Et Szondi lui avait dit qu’il avait une problématique avec la neurologie. …

La décompensation psychotique est soit très lente, soit très brutale dans une bouffée délirante. Là, c’est plus facile, c’est spectaculaire, c’est un spectacle. Pour moi, c’est plus un spectacle que de la douleur. C’est comme aller au théâtre. Et je suis spectateur du spectacle. Une bouffée délirante c’est quelque chose qui se montre. Il y a des beaux textes là-dessus qui ont bien délimités la clinique. Cela peut disparaître mais cela laisse des traces. Il y a des gens qui guérissent de la psychose en faisant une bouffée délirante. Quand Kuhn dit : « on est plus le même avant qu’après… une bouffée délirante ». 

On en voit moins fréquemment maintenant car il y a les neuroleptiques qui protègent d’une décompensation. Même si les généralistes, qui sont souvent sollicités par les parents, donnent plutôt du Valium (ça peut suffire) et pas de neuroleptiques parce qu’ils n’osent pas. A cause de la peur d’une plainte. C’est horrible… on ne peut plus travailler… 

Donc, quand Kuhn dit : on est plus le même avant qu’après… une bouffée délirante. La bouffée délirante n’est pas une décompensation psychotique comme dans la schizophrénie. Non ! et les gens ne l’ont pas entendu. Même Schotte. 

La catastrophe. Un mot superbe. Je n’y connais rien, mais il faudrait aller voir Prigogine, René Thom sur la théorie des catastrophes. Ou la théorie fractale. Isabelle Stengers. Mais je ne connais pas. Il y a la catastrophe au sens de Goldstein, quand quelqu’un a des troubles neurologiques, un début de démence… les pertes de repères dans le temps et l’espace, c’est catastrophique. Attention, quand on oublie, quand on perd des choses. Dans la psychose, quand la personne ne sait pas où elle est une seconde… ou qu’il doit mesurer l’espace dans lequel il est  pour pouvoir se trouver… à 18 ans ! pas comme dans les cas de psychoses, où c’est sédimenté, comme le dit Minkowski et que répète Maldiney « je suis là mais je ne sais pas ce que ça veut dire ». 

Tout ça c’est fragile pour construire notre quatrième dimension

SCH 00  ±±  . Quand on voit cette réaction là…. Aïe aïe aïe. Attention ! on va lire le reste du profil de façon extrêmement prudente. On va le lire autrement… Tosquellas aimait Szondi parce qu’il avait vu ça. Tosquellas était mégalo, il n’écoutait personne, mais là, il écoutait Szondi. Car il était touché. Comment se fait-il qu’à partir un choix de photos, on peut arriver à une théorisation de la catastrophe. Et à partir de là, Tosquellas disait que la seule personne qu’il fallait étudier dans les cours de psy était Szondi. Mais à propos de la catastrophe. Il en a parlé dans son livre La catastrophe ou la fin du monde avec Kierkegaard, avec Gérard de Nerval.

Maldiney a traduit il y a longtemps catastrophe par collapsus de la transcendance. C’est synonyme de la catastrophe. C’est une phrase de Tosquellas. Maldiney disait qu’il y avait deux choses qui le réveillait : la peinture et cette phrase. Qu’est-ce que ça veut dire « transcendance » ? cela veut dire existence. Je n’existe qu’en me dépassant. Je suis ouvert ou pas à ce qui m’arrive que je ne sais pas. C’est ça la transcendance.

La transcendance, ce n’est pas être en contact avec Dieu. C’est se dépasser. Être pris par quelque chose qu’on ne maitrise pas qui m’arrive hors de moi-même. Il y a un collapsus de la transcendance. Cela ne marche plus. C’est menaçant de se dépasser, c’est menaçant la possibilité d’être pris par quelque chose que je ne maitrise pas.

Ça a fait tilt chez Maldiney car cela a été décisif pour lui de développer le concept de transpassible. Est-ce que je suis capable dans ma vie de traverser ce qui me fait souffrir ?  Est-ce qu’il y a d’autres possibilités que celles que je vis (transpossible).

Par exemple,  à 18 ans, quand on se rend compte que les études qu’on a choisies, ça ne marche pas, cela ne me plait pas. Tout ce champ de possibles s’arrête. Est-ce que je suis dans le transpassible pour choisir autre chose avec la même intensité pour refaire un champ possible. C’est souvent un moment nœud dans la vie. 

C’est pour ça que les psychotiques sont très étonnés qu’une rupture amoureuse est beaucoup plus facile (disent-ils) à réparer qu’un échec d’études. C’est vrai, quand on est jeune, le transpossible marche au niveau de l’amour. Ce n’est pas aux adultes de s’en mêler.

Franck : je pense à un cas clinique. …

Marc : … ce n’est pas parce qu’on a fait un passage schizophrénique qu’on est schizophrène. Qui n’a pas fait ici dans sa vie un passage schizophrénique ? si on ne l’a pas fait, ce n’est pas la peine de faire de la psychiatrie. C’est facile à dire…

Si on a tremblé dans un moment schizophrénique, c’est compliqué. 

« Nos » gens disent souvent (à la clinique de la Borde, « nos gens » sont les patients) : ce sont ceux du personnel qui sont fous. Malades. Quand on se fréquente tous les jours, les patients voient très bien comment on est. Et moi, j’ai un privilège. Quand les nouveaux stagiaires arrivent, ils pensent que je suis fou. 

… il n’y a pas de différence entre soignants et soignés. 

Quels sont les outils qu’on a à disposition pour construire la quatrième dimension à travers la clinique ? testologiquement, c’est bon : on a SCH 00 ±±

Les verbes du vecteur Sch sont à la fois les verbes de la clinique et de la littérature. Le facteur k : catatonique : la possibilité de se fermer. Cette dimension de se fermer dans la clinique de la catatonie, des personnes qui sont fermées, cela n’existe plus car maintenant il y a les neuroleptiques. Mais avant 1957, avant les premiers neuroleptiques, c’était ça l’asile : il y avait beaucoup de catatoniques. La fermeture du monde en lui et la fermeture du corps dans son mouvement dans l’immobilisation musculaire. Ça ne bougeait plus. Il était mort. Debout. 

Quand il y a quelqu’un qui s’allonge chez nous, on dit que c’est antiaristote. L’être humain n’est pas seulement vivant quand il est debout. Ce n’est pas la définition de l’anthropos : être debout. C’est la définition d’Aristote. On peut être debout et mort. Aristote connaissait la mélancolie mais il ne connaissait pas la catatonie. 

Cathy : ni un pendu ?

Nathalie : et ceux qu’on appelait les musulmans … dans les camps de concentration ?…

Marc : chez Aristote, cela n’existait pas encore. L’industrie à fabriquer des morts. C’est une invention du XXième siècle…

Chez nous, ils vont s’allonger. Francis, par exemple, va tout le temps s’allonger et crier. Et on accepte collectivement que c’est un ode à la vie. Anti-Aristote. Plus personne ne va lui dire de se mettre debout. Il y a vingt ans, il y en avait un qui faisait la même chose. Alors on a fait un séminaire autour de son lit où il était allongé et j’ai lu un texte d’Aristote. … et on a accepté qu’Aristote n’avait pas tout compris.

Cela nous révèle la possibilité humaine de pouvoir se fermer. (s’enfermer dans sa chambre avec son journal intime).  La capacité à se délimiter pour pouvoir se fermer. Donc la fermeture, c’est le résultat d’un processus verbal de se délimiter. Donc on arrive dans une lecture topographique, physique.

Si il y a encore quelque chose à faire en psychothérapie institutionnelle, (et Oury le disait bien), c’est de travailler à partir de la logique sur la différence entre le bord, la frontière, la limite. C’est un peu ton thème, Noémie ?

Noémie : oui !

Marc : eh bien, si quelqu’un peut développer ça en inscrivant ça dans la structure de la personne, on est reparti pour la psychothérapie institutionnelle. Comment on va organiser notre espace qui n’est pas seulement un espace de bords, qui n’est pas seulement un espace de frontières, mais qui est aussi un espace de limites et de conjoncture de délimitation. J’ai demandé à un étudiant physicien superbe et gentil que cela serait bien de faire une thèse là-dessus. Alors il réfléchit… 

Pour nous, szondiens, ça nous aide ! fermer. Est-ce que cela nous aide pour interpréter les circuits du moi ? c’est à dire, qu’est-ce que c’est k+, p- ? je le note pour Noémie :

1(première position)  p- : paranoïde -participatif : l’être humain, à la base,  a la possibilité d’être ouvert au monde. Même quand il est dans le ventre de la maman, il est au premier balcon, personne ne sait qu’il est au courant de tout. On dit des méchancetés, on fait des conneries, et le petit bébé, il doit faire avec. Il est ouvert. 

Il se passe parfois des choses horribles dans la vie, et cela ne m’empêche pas de vivre. Quand on voit les incendies à Beyrouth, quand on voit l’horreur de la gestion de ce pays magnifique et qu’il y a encore tous ces corrompus qui continuent à vivre sur les collines, comment peut-on continuer à vivre ? et les libanais pleurent, hurlent, crient. Macron c’est un homme de spectacle, mais ils sont contents qu’il soit passé. 

On est ouvert aux choses les plus horribles du monde. Même si il y a une dimension perverse, on va étudier les horreurs du monde. Le miracle d’être ouvert : p-

2- k+. k veut dire catatonique. Eh bien, là, on a trouvé quelque chose qui touche au fermer. C’est une première délimitation.

S’il y a un facteur que Schotte a travaillé personnellement, c’est le k+. Et le k+ a toujours titillé Oury. Une semaine avant sa mort, il me demandait encore de lui expliquer le k+. C’est quoi le k+ ? on ne sait pas. Dans la clinique, quand quelqu’un fait du k+, c’est une première délimitation de la personne propre. La possibilité de se délimiter. Comment appellerais tu ça Noémie ?

Lacan avait énormément de schémas de bandes de Moebius où il y a des ruptures et où on se retrouve de l’autre côté du plan. C’est un essai logique de faire une coupure logique. Dans le k+, personne n’a utilisé la logique des mathèmes pour montrer la coupure.

p- : je suis ouvert, je prends un peu de tout. Chez le toxicomane qui prend le produit, il ne sait pas ce qu’est c’est, cela ne fait rien. La sensation de prendre : cela lui suffit. Est-ce que cela le délimite ? non ! il ne se soucie pas qui est le dealer, de quoi il est fait, s’il se met en danger ou pas. Il prend, c’est tout. Le toxicomane ne fait pas du k+.  Jamais. 

Le k+ est introjectif. Jeté à l’intérieur. Bon, c’est un peu descriptif, un peu flou…

Colin : pourquoi introjection et pas incorporation ?

Marc : non, ouais, c’est des querelles à la Oury. J’ai toujours la même réponse. Va lire Tausk. La machine à influencer. C’est de la terminologie. Quand on est dans ce mouvement où tout ce qui vient de l’autre, on le prend en soi, la seule chose qu’on peut dire, comme Hegel, c’est qu’on porte le monde sur nous. On est bossus parce que c’est trop lourd à porter. Tout ce qu’on a vu et entendu, je le prends en moi. Pas pour moi. En moi. En même temps, k+ est le premier  moment où on est conscient de soi-même. Où le concept de l’inconscient s’inscrit. C’est la première inscription :  k+.

k+ délimite entre l’autre et moi. Quel est le statut de cette délimitation ? Mais quelle est la logique de cette ligne pour se différencier de l’autre. Lacan a essayé de faire la distinction entre moi et l’autre en faisant des logiques de séparation : se-parare. Séparation ça veut dire se partager. Ça veut dire quoi se séparer ? cela ne veut pas dire devenir différent de l’autre… Lacan avait trouvé une logique mais il n’était jamais content, ce n’était pas définitif, il cherchait…

Quel est le statut logique de cette délimitation de l’autre ? Szondi dit que c’est la prise de conscience de soi-même. Mais conscience est un terme qui est vieux comme le monde. La conscience : Bewusstsein. Ça n’aide pas pour définir la délimitation. En même temps, il dit que k+ est la première distinction entre moi et l’autre, c’est à dire (et là on retombe sur les Trois essais sur la théorie de la sexualité de Freud) « ah ben toi tu as un zizi et pas moi ». Szondi était frappé par un article de Freud qui s’appelle L’anatomie, c’est le destin. Très peu de gens l’ont lu. Et c’est dans cet article que Freud dit que c’est le destin qui fait que je suis garçon ou fille. Et après c’est dans le fantasme qu’on dit que si on a un zizi, on va le perdre. On va le couper. Si tu t’amuses avec ton zizi, on va le couper. Et les machistes disent aussi : si tu n’as pas un zizi, tu en auras un. C’est le destin des anatomistes. 

Donc, il dit que k+, c’est cette distinction de sexe inscrite dans l’anatomie. Cette prise de conscience et cette différence sexuelle. Lacan a toujours travaillé sur le sexe. La sexualité, ce n’était pas son dada. Les trois S : savoir, sujet, sexe. Il était obsédé par le sexe. Mais pas le sexe comme logique. Mais Szondi, il a décrit.

Il y a pleins de gens qui donnent k+. c’est une façon de sortir du k0. Il y a une possibilité dans l’être humain de récupérer de la voltige, de ce saut. Si tu as un k+, tu peux délimiter le vol et t’asseoir à côté de toi-même. Mais si tu n’as pas de k+, ce n’est pas possible. Oury disait : il faut faire de la logique physique pour comprendre le k+.

Nathalie : il y a maintenant beaucoup d’ados qui se disent transgenres. Il faudrait peut-être aller du côté de la base.

Marc : la base, dans le vecteur Sch, c’est la première position, c’est p-, la possibilité de participer à la vie.  Mais ce n’est pas là où on se délimite. Le toxicomane il n’est personne. il est foyer. Il n’est pas objet, ni sujet, ni personne. 

Franck : aujourd’hui, on doit questionner le transgenre comme symptôme hystérique, parce que c’est tellement à la mode… symptôme d’un truc qu’on nous montre…

Marc : La mort n’est pas loin. Il y a quelqu’un à La Borde qui dit qu’il veut changer de sexe. Eh bien, la mort n’est pas loin. Toujours. Ce n’est pas parce que c’est à la mode, ce n’est pas parce que c’est une dimension culturelle d’émancipation… en Belgique, au séminaire, il y a une psychiatre qui est spécialisée dans le transsexualisme, qui est une spécialiste mondiale et par qui les personnes sont obligées de passer pour avoir l’autorisation des hormones, etc  et cette dame dit qu’avec les ados, il n’y a pas d’élaboration, ils ont décidé, un point c’est tout, et qu’au bout du processus, qu’est-ce qu’il y a : un truc qui ne se travaille pas, c’est la mort. 

Le transsexualisme, cela a à voir avec k+. Une prise de conscience. Je suis différent. Mais c’est difficile d’être différent. Il y a quelque chose d’une grandeur de devenir absolu. je suis un homme mais je veux devenir une femme. Je suis une femme, je veux être un homme. Devenir les deux. Donc, cette aspiration à être tout. c’est compliqué… C’est mieux quand ils sont dans le transvestisme. C’est plus rigolo. Des gigolos. Etc…

Noémie, cela pourrait être un travail. Si tout ton bagage physique s’inscrit dans la manière de se construire un style personnel : bord, frontière, limite et la dimension de délimiter. Se détacher de la limite pour pouvoir reconstruire la limite. Notre travail c’est de délimiter. On n’a pas la base pour travailler ça. 

k- : c’est plus facile. on n’est plus dans la psychose. On est dans les outils pour se construire. k- : la troisième position dans le vecteur Sch. Si je veux vivre comme un petit normopathe relativement tranquille sans me poser des questions  tout le temps, il y a le k- à ma disposition qui veut dire : ne me fatigue pas. On va réfléchir demain. Laisse-moi tranquille. J’ai oublié. Et quand j’ai oublié, je me rappelle. J’ai oublié mes clés mais je me rappelle que je les ai oubliées. D’ailleurs si quelqu’un veut faire une thèse sur la psychothérapie institutionnelle, c’est presque un classique, il faut étudier les clés. C’est de moins en moins possible car maintenant on ferme tout. 

k- ! (k-accentué) ça commence à être compliqué. C’est à dire : tu crois que je suis capable ? cette réalité dans laquelle on vit, c’est de la merde. Tu n’as pas honte de participer à toutes les conneries dans la vie… Beyrouth c’est loin de notre vie. Tu n’es pas dégueulasse ? moi ? k- !: j’ai honte de vivre et d’exister. 

Et que dit Kafka sur la honte ? c’est pire quand quelqu’un n’a plus de honte. Le mélancolique a une pathologie où il est tranquille : il peut emmerder le monde (les plaintes) sans être touché par la honte. C’est très paradoxal la souffrance. Pas seulement littéraire. La mélancolie, c’est une maladie horrible mais aussi légère. Légère pour nous emmerder. Et on s’en veut facilement d’être énervé par un mélancolique. Parce que le lendemain, on peut le retrouver pendu. Mais, là il m’emmerde. Mais quelqu’un qui a un k- !, il a honte d’être là : « déjà, je ne vaux pas grand-chose, mais en plus je participe à ce monde dégueulasse. »

 

k- !!: le négativisme : je ne vaux rien et le monde non plus. Tout est mal foutu. Tout est nul. Tout, tout le temps. Tu t’imagines vivre là-dedans ? c’est une fixette. Rien ne change. Il n’y a aucune mobilité. C’est typique de la catatonie. Ils ne peuvent pas arrêter d’harceler, d’être collants : tout est mal, rien n’est bon, rien n’est amusant, aucun plaisir à quelque chose et j’en jouis de vous emmerder avec ça. Je n’y trouve pas de plaisir, mais j’en jouis. C’est ma vie. Si je ne peux pas faire ça, je meurs. Ça, c’est la dimension violente de la catatonie. 

Roland Kuhn avait connu un patient qui pendant vingt ans (avant les neuroleptiques) est resté immobile et tout d’un coup, paf explosion. 

A la Borde, il y avait un malade immobile qu’on devait nourrir à la cuillère, et tout d’un coup, paf, il partait. Seul un soignant a pu l’approcher, c’était dans la forêt, et il a pu l’envelopper dans une couverture et le ramener. 

Les catatoniques quand il regardent les infos, veulent les catastrophes. Le Liban, c’était une jouissance absolue. Les cyclistes qui tombent pendant le tour de France… un rire absolu ! On doit leur permettre cette jouissance, car sinon ils peuvent mourir. 

p+ : quatrième position : c’est le moment où la fermeture s’ouvre à nouveau. 

J’arrive dans le monde auquel je participe mais que je n’assume pas (p-), alors que p+, je l’assume. Le passage de p- à p+. 

p+ : l’ouvert- participer à l’ouvert ; assumer l’ouverture du monde

p+ !: je n’en ai rien à foutre du monde autour de moi. Quand je suis ouvert, ça suffit. Et c’est moi qui décide. Je vais te dire ce que c’est le monde. Je m’appelle Zarathoustra. J’interprète le monde. 

Il n’y a presqu’aucun psy(chiatre, chologue)  dans leur protocole qui ne donne pas du p+ !. Heureusement que ce métier existe. Comment opérotropiser son p+ !…

C’est comme avec Ferenczi qui était bien copain avec Balint et Szondi : ils ont dit Freud, OK, mais ça va… on va en faire quelque chose. d

Donc quand Szondi voyait un p+ ! dans un protocole, il pouvait dire : alors tu  peux faire de la psychiatrie par exemple. 

Quand tu es pervers, il y a la bureaucratie, donc ça va pour opérotropiser ça. 

p+ ! ce n’est pas la perversion, c’est le moi. L’opérotropisation du p+ !, ce sont les métiers libéraux. Ils n’ont pas besoin du monde autour pour dire qui est le monde. 

Les avocats pénalistes, ce sont eux qui sont le p+ !!